MARIAM DANS LA BIBLE HÉBRAÏQUE

Cette émission est le pilote de toutes les autres... Hormis ce que j'y dis, elle me permet d'avouer que les enregistrements n'ont pas été réalisés dans l'ordre de diffusion... Au courant de l'année, il vous sera donc possible de prendre connaissance ou d'imaginer quel a été ma courbe d'apprentissage, dis-je en toute humilité. Cette confession faite, je poursuis pour expliquer mon intérêt particulier pour cette superbe figure. 

James C. Lewis
                               James. C. Lewis

Aujourd’hui, il me fait donc plaisir de vous entretenir sur la femme ayant pris une part décisive dans la libération de l’esclavage et la sortie d’Égypte : Myriam. Si vous connaissez peu, prou ou pas cette héroïne biblique, c’est normal. En fait, l’Ancien Testament ne la mentionne que neuf fois, ce qui est bien loin des 737 occurrences pour Moïse et des 357 mentions pour Aaron, ses deux frères. Or, ses interventions, bien que moindres, sont toujours hautement significatives. Ainsi, Myriam est beaucoup plus importante qu’on peut le penser. C’est une rare célibataire appelée par Dieu à accomplir une mission exceptionnelle – comme Marie –, c’est-à-dire rendre possible le salut, et ce, tant par la préservation de la vie de Moïse que par son par son souci du peuple, lequel dépendait d’elle comme un enfant dépend de sa mère ou comme la survie dans le désert dépend de l’eau. 

La première référence à cette femme, alors encore anonyme, se trouve au début du livre de l’Exode. La mère de Moïse, après avoir caché son enfant mâle trois lunes – à cause de l’ordre donné par le Pharaon à son peuple de tuer tous les garçons –, déposa une caisse sur les rives du Nil dans lequel elle l’avait placé. Alors, on lit en Exode 2, 4 : « la sœur de l’enfant, se posta à distance pour savoir ce qui lui adviendrait/ observait de loin pour savoir ce qu’il deviendrait ». Presqu’aussitôt recueilli par la princesse égyptienne, Moïse – littéralement le « sauvé des eaux » –, aura sa propre mère comme nourrice grâce à l’intervention de sa sœur aînée auprès de Bitia. D’emblée, on peut donc légitimement se demander si, sans elle, Moïse aurait pu seulement vivre, grandir à la cour et accomplir sa mission. Mais c’est loin d’être tout. 

    Doura Europos


Le verset suivant la miraculeuse traversée de la mer Rouge et le cantique de Moïse nous apprend que les eaux se sont refermées, engloutissant l’armée égyptienne. C’est le point culminant de ce miracle. La poursuite est terminée. Les Hébreux sont bel et bien libérés. On lit ensuite, en 15, 20, que « alors, Myriam, la prophétesse, sœur d’Aaron, prit en ses mains un tambour, et toutes les femmes sortirent à sa suite avec des tambours et des danses. Et Myriam répondit ou chanta pour eux : « Chantez YHWH car il est très haut, oui très haut ; la cavalerie et son char, il les a jetés dans la mer ». Myriam est donc une prophétesse. Or, il est difficile de voir le rapport entre cette fonction et le chant et la danse et encore moins de comprendre où ces femmes ont obtenu des tambourins ? Si certains pensent que les tambourins sont présents parce que la voix de Myriam et des femmes ne se faisait pas suffisamment entendre, d’autres supposent que « Miriam et sa bande avaient un plan, un plan qui impliquait la rédemption puisqu’elles s’étaient assurées, en quittant leur maison avec une telle hâte qu’elles ne pouvaient pas attendre que le pain lève, qu'elles avaient leurs tambourins avec elles. Pour Melissa Scholten-Gutierrez, c’est un acte de foi assez incroyable qui montre que « Miriam, voire toutes les femmes sous son influence, savait que Moïse avait raison, qu’il y avait une puissance supérieure qui les conduirait en toute sécurité hors d’Égypte et que l’esclavage prendrait fin ». En ce sens, Myriam occupe donc vraiment une fonction médiatrice – la plus importante qu’une femme pouvait occuper dans la hiérarchie de l’époque. Comme son jeune frère, c’est manifestement une dirigeante, mais contrairement à lui, par son chant, elle répond pour le peuple et l’entraîne à sa suite. 

    

                           


Meneuse charismatique, elle dirige le chœur des femmes et les fait donc participer, même de façon périphérique, à la guerre, car après cet événement capital qui proclame que les faibles peuvent s’arracher aux griffes des puissants, que les désarmés peuvent se soustraire à la rage de tuer, toutes les victoires des Israélites seront célébrées par le chant, suivant donc son exemple. Cela dit, elle est présentée ici comme la sœur d’Aaron et Irmtraud Fischer souligne que si elle devait être présentée après son célèbre frère Moise, son chant aurait été relégué au second rang. Or, « le texte présente ce dernier comme un hymne proclamé par une figure dirigeante placée au même niveau » que ses deux frères, et ce, même si elle est l’aînée ou parce qu’elle est une femme… Il n’en demeure pas moins que Myriam et Aaron constituent également un couple en opposition à Moïse, potentiellement plus proche du peuple que de Dieu. Du moins, c’est le cas de Myriam, car, malgré le don de la prophétie, elle reste, pour ainsi dire, toujours les deux pieds sur terre. Jamais elle ne perd le contact avec le peuple qui, on le verra, le lui rend bien…

Ce chant, dans la Bible, soit « Chantez YHWH car il est très haut, oui très haut; la cavalerie et son char, il les a jetés dans la mer », reprend une phrase du chant de Moïse qui contient l’anagramme de son nom, tel qu’il se lisait dans La Septante, la première traduction grecque de l’Ancien Testament. En fait, Myriam, qui peut être traduit par « celle qui élève », se lisait Maryam, qui peut être traduit par « mer d’amertume ». Mar, en hébreu, évoque l’amertume et yam, la mer et, jeté à la mer s’écrit ramah (ba)yam ou mar-yam. Comme le nom est porteur d’un destin dans la tradition sémitique, il appert que Mariam est liée à l’eau, véritable source de vie, même si on parle ici d’eaux amères, comme c’est le cas dans l’épisode à Mara. Après le chant et la danse des femmes, « Moïse fit quitter aux fils d’Israël les bords de la mer Rouge, et il les conduisit dans le désert. Ils firent trois journées de marche et ils ne trouvèrent point d’eau à boire. Arrivés à Mara, ils ne purent boire l’eau qui s’y trouvait, parce qu’elle était amère ; c’est pourquoi ils appelèrent ce lieu Amertume (Mara). C’est en ce lieu que le peuple murmura une première fois contre Moïse, disant : Que boirons-nous ? et que Moïse, avec l’aide de Dieu, fit jaillir une source d’eau vive. Ce n’est donc pas pour rien que Myriam apparaît souvent comme une figure d’amertume et de déception, sauf peut-être dans le Seder, le rituel juif visant à se rappeler précisément la sortie d’Égypte et la fin de l’esclavage. Dans la première nuit de la fête, les Juifs se racontent et boivent quatre coupes de vin et en verse une cinquième en l’honneur d’Élie. Depuis les années 80, des féministes ont introduit la coupe d’eau de Myriam, laquelle doit être bue après la deuxième, avant de se laver les mains et de passer au repas. Cette coupe, hormis souligner l’importance de Myriam dans l’histoire de la libération, fait allusion, au « puits de Myriam », lequel désaltère le peuple pendant 40, l’accompagnant dans ses déplacements depuis le premier roc frappé par Moïse jusqu’à la mort de la prophétesse, selon le traité Pirké Avot de la Mishna. 

Myriam, la sœur de Moïse et d’Aaron, qui est présentée comme une importante dirigeante, mais aussi comme une surprenante figure de contestation. Du moins, c’est ce qu’on lit en Nombres 12. « Cependant, Myriam avec Aaron parla contre/sur ou avec Moïse, à cause de la femme du Kush que Moïse avait épousée, car il avait pris une femme éthiopienne/nubienne. Et ils se dirent l’un à l’autre : Est-ce à Moïse seul que le Seigneur a parlé ? Ne nous a-t-il pas parlé pareillement ? Et le Seigneur entendit et dit à Moïse, à Aaron et à Myriam : Sortez tous les trois, allez à la tente de rencontre, où Il descendit en une colonne de nuée. Aaron et Myriam furent appelés, et le Seigneur leur dit : Lorsqu’il y aura parmi vous un prophète du Seigneur, je me manifesterai à lui en des visions, et je lui parlerai pendant son sommeil. Il n’en est pas ainsi de mon serviteur Moïse, qui m’est fidèle entre tous ceux de ma maison. À lui je parlerai bouche à bouche clairement, et non en termes obscurs ; il a vu la gloire du Seigneur : comment donc n’avez-vous pas crainte de parler contre mon serviteur Moïse ? Et la colère du Seigneur éclata contre eux, et la nuée s’éloigna. Aussitôt Myriam se trouva blanche comme neige ; Aaron la regarda, et voilà qu’elle était lépreuse » (Nbr12, 1-9).

Avant d’aller plus loin sur cet important passage, il importe de clarifier la dispute au sujet de la femme étrangère et la contestation de la réception de la parole. Bien qu’on puisse avoir l’impression que le duo passe du coq à l’âne, ce n’est pas le cas. Il est bel et bien question d’une controverse sur la légitimité du discours prophétique, soit sur la différence entre la prophétie ordinaire (vision et songe) et celle, extraordinaire, dont est gratifié Moïse qui parle bouche à bouche avec Dieu. Moïse est donc un cas à part et cela s’applique également sur le plan de son rapport avec la femme étrangère. Selon la tradition juive, la mésentente concerne non pas une nouvelle union mais son divorce d’avec Sippora, puisque cette dernière est explicitement renvoyée en Ex 18, 2. Parce qu’elle aurait demandé en quelque sorte si la relation soi-disant privilégiée de son frère avec l’Unique justifiait le malheur de sa belle-sœur, Miriam est donc punie. Ayant dépassé les bornes, la lèpre dépigmente automatiquement sa peau. Seule, elle est frappée de ce stigmate résultant d’un empiètement des limites qui entraîne l’exclusion de la communauté, comme c’est le cas avec le roi Ozias du livre des Chroniques. En effet, ce dernier, enorgueillit par sa puissance, devint infidèle envers Dieu et la lèpre apparut sur son front. Bien que mis à l’écart de la maison du Seigneur, comme il se doit, le fils d’Amasias et de Jecolia demeura lépreux jusqu’au jour de sa mort. Ainsi, faudrait-il voir un pareil orgueil chez Myriam? Une jalousie envers son frère ou encore la simple colère d’une femme contre un homme en répudiant une autre. Il est difficile de trancher. Quoi qu’il en soit, dans son cas, Aaron – le seul qui peut déterminer la maladie de peau qui l’afflige et la traiter, puisqu’il est prêtre (Lv 14) – intervint. « Il dit à Moïse : Je le conjure, Seigneur, ne nous fais pas porter la peine de notre péché, car nous avons commis une ignorance, nous avons péché. Que ce mal n’aille pas la rendre semblable à un cadavre, à un avorton qui sort des entrailles de sa mère, et ronger la moitié de ses chairs. Et aussitôt, Moïse invoqua le Seigneur, et dit : Dieu, je vous en conjure, guérissez-la. Dieu lui répondit : Si son père lui eut craché au visage, ne serait-elle pas sept jours dans sa honte ? Qu’elle soit donc séparée sept jours hors du camp, ensuite elle y reviendra. Marie fut donc séparée sept jours hors du camp, et le peuple ne partit pas qu’elle ne fut purifiée » (Nb 12, 10-16).

Au terme de ce récit, on réalise donc que Aaron, lui, n’est pas atteint du signe de diffamation ou de calomnie, comme si Myriam était la seule responsable ou comme si l’injustice et le sexisme devaient triompher. Or, peut-être faut-il rappeler qu’Aaron n’est pas prophète de Dieu comme elle, mais bel et bien de Moïse (Ex 7,1). Le Seigneur auquel il s’adresse, c’est Moïse, qui, ensuite, s’adresse à Dieu et fait en sorte que Myriam n’est dans la honte que sept jours. Ainsi, la faute d’Aaron ne serait qu’à l’encontre de son frère, le prophète par excellence, et ce, peut-être par ignorance, tandis que Miriam, elle, savait peut-être et ne resta pas docile à la justice de Dieu. Toutefois, ce Dieu est aussi Celui qui guérit et, alors, Myriam peut réintégrer sa communauté, se distinguant ainsi de tous ceux qui ne le peuvent jamais, comme le stipule Dt 23. De plus, le fait que le peuple l’attende indique non seulement une certaine indifférence à son impureté momentanée, mais surtout leur solidarité, sinon le besoin qu’ils ont de Myriam comme guide ou sourcière. Cela dit, Myriam meurt quand même quelques versets plus loin. 

Appartenant à la génération qui n’est pas permise d’entrer en Terre promise, elle expire avant ses frères à la limite du pays de Canaan, soit à Qadèsh, ce lieu qui peut être dit saint en raison de la racine consonantique similaire à Qadosh. Là, en raison du manque d’eau – peut-être parce que Myriam n’est plus – le peuple, une énième fois, murmure contre Moïse et Aaron, se révolte, déçu et/ou frustré, un peu à l’instar de la disparue. Or, là, les deux frères s’adressent à Dieu puis au peuple, auquel ils exposent leur doute « Écoutez donc, rebelles! Pourrons-nous faire sortir l’eau de ce rocher ? ». Si l’eau jaillit et le peuple boit, Moïse et Aaron seront toutefois punis à leur tour pour leur manque de foi : « ils n’introduiront pas ce peuple dans la terre qu’Il leur a donnée ». En Nb 20, 13, on lit : « Ce sont les eaux de Mériba – Querelle –, parce qu’en ce lieu les fils d’Israël – comme l’illustre fille d’Israël – cherchèrent querelle à Dieu ». Moïse et Aaron ne sont pas posés en médiateurs pour le peuple, mais contre lui, alors que Myriam n’a jamais failli à sa fonction auprès du peuple. C’est d’ailleurs pourquoi, selon l’exégète allemande Irmtraud Fischer, il faut peut-être comprendre sa révolte contre l’accaparement de l’autorité par le seul Moïse, comme un simple récit pour justifier sa mort.

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RÉFÉRENCES
Irmtraud Fischer, 2009, Des femmes messagères de Dieu. Prophètes et prophétesses dans la bible hébraïque, Paris : Éditions du Cerf.
Melissa Scholten-Gutierrez, 2012, Faith is packing your timbrel


PIÈCES MUSICALES
Miriam’s Song par Debbie Friedman, un folk classique de 1989 qui a rapidement fait sa place dans les synagogues, comme le souligne Molly Tolsky dans la revue juive Alma. Par sa plume, on réalise que pendant des siècles, on parla donc de cette Miriam, mais qu’il aura fallu attendre la fin du vingtième siècle pour que Debbie Friedman actualise son chant avec une mélodie, mais surtout avec des paroles. Car, il faut le rappeler, même si Myriam est comprise parmi les sept grandes prophétesses d’Israël dans le Talmud, ses enseignements n’ont malheureusement pas été enregistrés. Célèbre pour avoir ré-imaginé des prières hébraïques, les transformant en mélodies populaires que de nombreuses congrégations utilisent encore aujourd’hui, la fervente féministe américaine qu’est Debbie Friedman est la première compositrice à avoir contribuer de façon significative à la liturgie populaire juive. De plus, comme la présente émission, ses chansons mettent souvent en lumière les voix des femmes et les histoires qui n’étaient traditionnellement pas mises en valeur. La beauté de Miriam’s Song est que ce n’est pas seulement une chanson juive ou une chanson de la Pâque juive. C'est une chanson belle et joyeuse qui met en avant une héroïne biblique méconnue tout en accomplissant exactement ce que son chant à elle avait pour but de faire : faire danser les femmes.

                                                     Feuerbach
                                                                   Anselm Feuerbach

Miriam de Norah Jones, de l’album Little Broken Hearts paru en 2012.
The Miriam Drum Song, une pièce qui apparaît sur l’album The Socalled Seder – A Hip Hop Haggadah de SoCalled paru en 2005.

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Dance of Mariah de Elias Rabhani

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