JEZEBEL DANS LA CULTURE POPULAIRE

La semaine dernière, Anne Létourneau et moi-même avons échangé sur Jézabel/Jezebel/Izebel, la reine phénicienne qui épouse le roi Ahab dans les livres des Rois. Cette semaine, nous avons poursuivi notre exploration de ce personnage, mais, cette fois-ci, dans la culture populaire. Il faut l'avouer, Jézabel l’étrangère, est manifestement beaucoup plus connue que maints autres personnages féminins de la bible hébraïque. Cela dit, les séquelles culturelles de la Jézabel biblique prennent de nombreuses formes dans la culture populaire et ont perpétué sa diffamation. Représentée comme une femme fatale, prostituée ou adultère, la relecture des passages de 1-2 Rois qui lui sont consacrés permet d’en dresser un portrait bien différent (Létourneau, 2015: 401). 


Il n’en demeure pas moins que l’accusation de « prostitutions » et de « sorcelleries » dirigée contre elle dans les discours de Yéhou à Yéhoram, le fils de la souveraine (2 R 9, 22), a été prise au pied de la lettre et est reconduite. L’Apocalypse a également, voire surtout, exacerbé l’association de la reine phénicienne avec la prostitution comme métaphore de l’idolâtrie (Ap 2, 20-23), car ainsi que l’a écrit Létourneau dans sa thèse : « La prostitution et la fornication sont associées à une religion et une culture étrangère » (2015: 401 et pages suivantes). La sexualisation grandissante des représentations contribua non seulement à construire une féminité, mais aussi une ethnicité stéréotypée et menaçante, notamment à l’époque esclavagiste dans le sud des États-Unis, mais qui se perpétue encore aujourd’hui… Jezebel a été réappropriée par des pages d’informations, des magazines, divers films et séries ayant, entre autres, pour thème la sexualité. D’ailleurs, Jezebel est désormais le nom d’une marque de lingerie, mais le plus intéressant, c’est que ce qui était un nom propre est devenu un nom commun dans la langue anglaise, qui désigne : une femme impudente, éhontée ou sans retenue morale. À cet effet, thesaurus.com donne comme synonymes de jezebel les mots « prostituée » et « salope » … 

Dans la même veine, il existe un épisode intitulé « Chez Jézabel », dans la série télévisée La servante écarlate, tiré du livre de Margaret Atwood, qui présente un bordel du même nom. Ici, les femmes sont légèrement vêtues et sont censées répondre à tous les souhaits et désirs des hommes qui les visitent. Offred, le personnage principal, y voit sa meilleure amie d’avant le début de la dystopie de Gilead, laquelle remarque que cette dernière ressemble à « une pute de Babylone » – reliant ainsi clairement le souvenir de Jézabel à l’immoralité sexuelle en utilisant justement le langage biblique. 


Par ailleurs, le site Jezebel présente des reportages sur « la célébrité, le sexe et la mode pour les femmes », avec des articles sur les sex toys et les sex icons. Le nom Jezebel y représente la décadence et l’indulgence, la sexualité et les secrets des célébrités – toutes ces choses qui ne devraient pas nous intéresser (mais qui nous intéressent), ainsi qu’il est écrit sur site supposé féministe et qui existe depuis 2007 (au départ, c'était un blog destiné aux femmes lancé par Gawker Media et fondé par Anna Holmes). On peut également y lire que le nom du site fait soi-disant référence aux stéréotypes relatif à la sexualité des femmes Afro-Américaines… 
         

En ce sens, le film Jezebel de Numa Perrier, sorti en 2019, nous présente Tiffany, 19 ans, qui devient une camgirl fétichiste d’Internet, dont le pseudonyme est justement Jezebel, prénom qu’elle adopte en coiffant sa perruque pour la première fois. La jeune femme devient populaire en tant que seul "modèle noir vivant" sur le nouveau site et se rapproche d’un de ses "clients", à l'instar de sa sœur, opératrice de téléphonie sexy en couple avec un ancien client… La dynamique de la relation entre sœurs se modifie à mesure que chaque femme explore et exploite sa sexualité, en utilisant les mondes imaginaires qu’elles créés pour échapper aux réalités de leur vie quotidienne (ma traduction). Ainsi, il convient peut-être de préciser que le film Jezebel retourne et renverse le terme archaïque en un épanouissement transformateur, valorisant, remplis de découverte et menant à la (re)conquête de l’identité sexuelle. 


Enfin, il faut souligner le côté immoral de cette figure, soit le fait que Jezebel soit aussi associée à la méchanceté. Il n'est pas anodin qu'un missile utilisé durant la deuxième guerre mondiale ait porté ce nom, que Anna Kournikova ait été surnommée la Jezebel de sueur (gulp !) et que dans l’affaire Clinton/Lewinsky, celle-ci ait ainsi nommée par Kenneth Star, le procureur indépendant, qui ne l’avait pourtant jamais rencontré ! Cette caractéristique s’observe aussi dans le film américain sorti en 1938, Jezebel en anglais ou L’insoumise en français, dans lequel joue Bette Davis et Henry Fonda. fil qui n’est pas particulièrement chargé sexuellement, du moins à mes yeux contemporains. Cela dit, le personnage de Julie interprété par Davis, est une marginale, pour ne pas dire une insensée (a fool), car elle entre à la banque, fait parler d’elle dans les bars et ose porter une robe rouge au bal en blanc. Cet épisode qui suscite l’opprobre sociale (la piste de danse se vide), en raison de ce choix audacieux et subversif, l’humilie et entraîne la rupture d’avec son compagnon. Elle n'a pas froid aux yeux cette Julie et dans la Nouvelle-Orléans de 1852, elle se trouve,  lorsque cet ancien fiancé revient avec sa nouvelle promise originaire de New York, au coeur d'un débat abolitionniste. Plus tard, Julie, toujours tout feu tout flamme, sera responsable d’un duel et donc indirectement de la mort de Buck, à l’instar de la Jezebel biblique qui exige la mise à mort de différents prophètes. C’est d’ailleurs à ce moment crucial de l’adaptation de la pièce de théâtre de Owen Davis (1933) que sa servante noire dira à sa maitresse qu’elle est comme « Jezebel, who did evil in the sight of God »… 



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RÉFÉRENCES
Margaret Atwood, 1985, The Handmaid's Tale, Toronto: McClelland & Stewart
Anne Létourneau, 2015, Femmes étrangères dans la bible hébraïque : de la douceur du nourrir à la violence du mourir, Thèse. Montréal (Québec, Canada), Université du Québec à Montréal, Doctorat en sciences des religions. 

PIÈCES MUSICALES
Jezebel d'Anna Calvi
Walz de Charles Gerhardt
La valse de Max Steiner  

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