D'ENFANTS ET AUTRES CRÉATURES
Il ne manquait plus que ça, les enfants. Non pas qu’il n’y en a pas qui courent partout dans les rues, qui nous suivent, pieds nus, avec une boite de conserve, quémandant argent, nourriture, lait ou simplement des cadeaux. Ce n’est pas, non plus, parce que je n’avais pas remarqué ceux et celles époustouflants de beauté, haut comme deux pommes, avec leurs grands yeux de biche ou de gazelle, c’est que je reviens de quelques heures à proximité de deux de ceux-ci, dont un plus particulièrement est doté d’un caractère à me faire pâlir, alors que je brille déjà de toute ma blancheur qui se hâle très tranquillement. Un petit de trois ans, dont l’obstination dépasse le besoin d’attention, à moins que mon inexpérience me fasse rater le calcul et ne pas comprendre que les deux vont de pair. Le déficit de l’un exacerbant la mise en pratique de l’autre. Je ne suis déjà définitivement pas friande de ces bouts de chair qui sautillent, hurlent, exigent ce qui est interdit à maintes reprises. Pas une, pas deux, pas trois fois sont nécessaires pour faire comprendre que c’est interdit, à moins, encore une fois, que toutes ces tentatives démontrent à quel point l’enfant, justement, comprend. Peut-être sait-il très bien, voire trop bien, qu’à la longue son désir sera satisfait, ayant épuisé la réserve de patience et le quota de « non » qu’un adulte puisse émettre à son endroit. Quoi qu’il en soit, pendant ce temps, j’ai appris que le jeune Kevin n’a peur de rien, même plus des serpents, sauf d’une créature, nouvelle dans ma mythologie bien qu’elle ressemble à cet être puant qui déambule aux lendemains de l’Aïd dans certaines rues marocaines. Ici, au Sénégal et anciennement en Sénégambie, cette créature s’appelle Kankouran ou Kankourang.
Là aussi, au Maroc, c’est une affaire païenne qui perdure et qui s’inscrit dans le folklore, à protéger donc, malgré ce qu’elle inspire et les similaires réticences dues à l’islam. La créature a cette fois le corps recouvert de peaux de mouton ou de chèvre, le visage dissimulé derrière un masque ou une tête d’animal ou pas, soit quand la peau est simplement foncée au charbon de bois. Tenant en ses mains les sabots de l’animal sacrifié la veille, il assène des coups à qui se trouve sur son chemin et peut récolter, pour que ces derniers soient évités, des dons. Dans le cas observé, plusieurs jeunes participants à la fête étaient membres d’organismes et devaient probablement remettre l’argent pour perpétuer son existence ou organiser des activités de toutes sortes. Accompagnés d’une animation grandiose, de la musique à tous vents et d’autres quidams se prêtant au jeu du déguisement, Boujloud effraie certains, fascine et fait aussi beaucoup rire, ce qui est le cas des parents sénégalais évoquant l’affreux Kankouran pour faire taire ou calmer leurs enfants. En fait, le rire fuse ou se dessine sur les lèvres parce que, irrémédiablement, c’est gagnant. C’est un bonhomme sept heure qui ne procède à aucun rapt, mais transmet des secrets, du moins, à ceux qui peuvent se faire trancher la peau du pénis, les petites filles étant automatiquement exclues. Il en va quelque peur de même avec Boujloud, car je n’en ai vue aucune affublée de ces peaux lourdes malodorantes, mais il semble que l’interdit, si je peux le nommer ainsi, vienne des traditions Amazigh qui ne sont plus ce qu’elles étaient avant la pénétration profonde des enseignements de Mahomet.
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