FEMMES TÉMOINS DE LA RÉSURRECTION
Dans la foulée des propos sur la résurrection de la mère de 2 Maccabées 7 (2 M), je me penche aujourd’hui sur la tradition transmise unanimement des femmes témoins de la résurrection de Jésus. En effet, les quatre évangélistes (Luc 24 ; Jean 20 ; Marc 16 ; Mathieu 27-28) attestent tous que les femmes ont été choisies en premier pour transmettre la nouvelle : une chose peu fréquente ! Elles sont quelques-unes, nommées ou non, qui suivaient Jésus depuis la Galilée et qui lui sont restées fidèles jusqu’à la mort, alors que tous les autres, sauf un (Jean), avaient fui. C’est à elles que Jésus s’est montré et à qui il a parlé pour la première fois après son court voyage outre-tombe. Ce sont elles qui, bravant leur peur et/ou les railleries, ont annoncé la résurrection aux autres disciples. Pourquoi des femmes comme témoins de cette victoire sur la mort ? Soupa et Pédotti pensent qu’une expression biblique peut aider à le comprendre, soit celle qu’on trouve par deux fois dans le livre de Judith, soit en 13,15 et en 16,5, et qui dit que Dieu agit « par la main d’une femme » (penser, entre autres, à la femme de Béthanie, à partir de laquelle Schlusser Fiorenza a entamé son travail d’exégèse féministe). Ces deux autrices avancent qu’on pourrait remplacer le mot « femme » par ceux de « pauvre » ou « étranger » pour bien montrer que Dieu se joue de la puissance du monde (et des puissants de ce monde?) et qu’il intervient aussi, voire souvent par la main de celleux que l’on ne voit même pas – petits, faibles, ignorés –, peut-être parce qu’il se laisse plus aisément reconnaître par iels. Cela dit, il est fréquent que les oracles passent par les ignorants, illettrés, inusités personnages pour que le savoir transmis paraisse bel et bien provenir d’une source autre, surnaturelle (voir, à cet effet, le supposé analphabétisme de Mohammed qui est sérieusement questionné dans l’éblouissant Mahomet (1994) de Maxime Rodinson).
Il faut toutefois commencer par clarifier ce dont il est question, car, en fait, nulle part la résurrection de Jésus n’est décrite. Aucun des récits canoniques ne s’y aventure, bien qu’ils présentent différents cas (le fils de la veuve de Naïn, la fille de Jaïre, Pierre et Paul dans les Actes gratifient des anonymes de Joppé et de Taras. Il y a par ailleurs le récit de Lazare, lequel est, aux dires de Morillat et Prieur un véritable récit d’anticipation et l’homme prénommée « Dieu aide », un prototype) (1999 : 166-168). Commentateurs proposent des différences entre résurrection, retour à la vie et réanimation, ce qui renvoie aux différences qu’on peut trouver dans les récits de la Bible Hébraïque chez Isaïe, Ézéchiel et Daniel notamment, en plus de ce qu’on a pu voir dans 2 M 7 (voir Anastasier). On ne peut douter que l’idée était présente, même plus ou moins distincte de l’idée de guérison ou de libération d’un genre politique.
La résurrection, toujours selon les deux auteurs de Jésus contre Jésus (1999), est une idée juive – un acte philosophique et conceptuel – qui surgit à un moment critique. En fait, disons-le, la mort retient très peu l’attention avant les écrits où il est question de résurrection, soit des écrits à saveur apocalyptique qui apparaissent aux environs de 4ème et 3ème siècle avant notre ère. 1 M et 2 M, surtout, en sont, en quelque sorte, des manifestes, les causes de la crise macabéenne – crise ouverte –sont les mêmes qu’avec la crise larvée du temps de Jésus. La persécution d’Antiochos IV Épiphane a permis une réceptivité envers la notion de survie individuelle après la mort, compris comme une réponse au problème du martyr (je nuancerai, dans la mesure où à mes yeux le martyre n’est pas un problème; le problème réside dans les persécutions, ce qui est différent. En ce sens, le martyre, comme la résurrection qui lui est peut-être absolument nécessaire, est aussi une réponse. En fait, le martyre sont perçus comme les signes avant-coureurs de la résurrection…et c’est encore le cas aujourd’hui. Du moins, dans la tradition musulmane que nous avons explorée quelque peu, où les liens avec le salut sont indéniables). En fait, il y a d’abord l’insurrection d’un peuple qui se refuse à mourir, puis l’espérance et, enfin, la victoire ultime ! La conviction que Dieu réclame des martyrs pour sa cause entraîne avec elle la certitude due les justes qui mourront dans le combat seront récompensés pour leur héroïsme et leur abnégation ». Cela dit, la résurrection s’est avérée un puissant outil de définition ou d’identification, comme le Temple le fut pour d’autres : soit les Sadducéens qui se sont retrouvés dépourvus lorsque ce dernier fut détruit, alors que les Pharisiens, qui y croyaient, s’en sont plutôt bien sortis… Elle fut également un moyen de contrôle social et une solution face à la peur de la mort, l’Autre ultime, hormis Dieu. Et c’est pourquoi l’arme idéologique employée par les Maccabées pour contrer le désespoir ambiant, répondre aux injustices et galvaniser celleux qui n’ont que leur vie à offrir, est demeurée à propos deux siècles plus tard.
La résurrection a permis de transformer la malédiction du Crucifié en bénédiction, comme dans Deutéronome et le très deutéronomique 2 M. Le proclamer fut toutefois un acte de foi, car personne ne peut témoigner de la résurrection. C’est, ainsi que l’affirme Paul Ricoeur (2007), un événement théologique et c’est peut-être la raison pour laquelle personne n’a vu la résurrection. Seul le ressuscité s’est fait voir. D’ailleurs, au départ, c’est la disparition du corps qui pose problème, comme s’il y avait eu vol de cadavre et que les gardes, dont il est uniquement question dans Mathieu et Pierre, n’avaient pas fait leur travail. Pourtant, seules les femmes connaissaient l’emplacement du tombeau (Maria de Magdala et Marie, mère de Joset, en Mc 15, 47), seules elles peuvent attester que c’est bien le même lieu qu’elles ont découvert vide quand elles s’y sont rendues pour oindre le corps de celui qu’on appellera le Christ, c’est-à-dire, justement, l’Oint (dans le sens messianique). Auraient-elles menti sur l’emplacement, voire même inventé de toutes pièces un tombeau comme l’écrivent Mordillat et Prieur (1999 : 145) ? Nul ne peut le confirmer… ni l’infirmer. Personne n’est plus en mesure de dire qui étaient les femmes présentes. D’un évangile à l’autre, à l’exception de Maria de Magdala ou Marie-Madeleine, elles varient. Chez Marc sont nommées Maria de Magdala et deux inconnues : Marie, mère de Jacques, et Salomé, lesquelles achetèrent des aromates pour aller oindre le corps (16, 1). Mathieu, lui, ajoute à la première « l’autre Marie » (28, 1), tandis que Luc mentionne simplement « les femmes qui étaient venues de Galilée » (23, 55). Quant à Jean, il semble se satisfaire de Marie-Madeleine, bien que le pluriel affleure, à l’occasion, dans ses paroles (1999 : 142). Il n’en demeure pas moins que c’est elle qui est clairement répertoriée comme disciple du Seigneur dans l’Évangile de Pierre, celle qui est parfois appelée « L’apôtre des apôtres » et reste fidèle à Jésus jusqu’à sa mort ; la seule, donc, qui est présente au tombeau dans les quatre évangiles, mais qui aurait soi-disant eu trop de points faibles en elle pour être la mère de l’Église… J’y reviendrai…l’an prochain.
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