MÉMOIRES D'ELLES : FRAGMENTS DE VIES ET SPIRITUALITÉ DE FEMMES


Dans la foulée de la mémoire et/ou de la justification de l’intitulé de cette émission, j’ai réinvité Marie-Andrée Roy, puisqu’elle est une pionnière. Après avoir publié sa thèse, Les ouvrières de l’Église : sociologie de l’affirmation des femmes dans l’Église, en 1996, elle se lance dans un projet avec Agathe Lafortune et, trois ans plus tard, Mémoires d’elles. Fragments de vies et spiritualités de femmes paraît sous leur direction. Évidemment, depuis, Marie-Andrée Roy a continué de publier, mais c’est de cet ouvrage, lequel a reçu le prix du salon du livre religieux de Montréal en 2000, dont il a été question dans le cadre de l’émission, entre autres, parce qu’il a, lui aussi, en quelque sorte inspiré son intitulé. La sociologue n’a évidemment pas manqué de souligner l’apport de Schüssler Fiorenza, mais a évoqué non pas l’histoire de l’onction telle qu’on la lit dans Marc. L’amalgame s’est fait involontairement entre les diverses versions. Et, la femme a parfumé les pieds, comme on le lit dans Jean, lequel la nomme Marie, du village de Béthanie, et l’identifie comme la sœur de Marthe et de Lazare. De plus, fait intéressant et qui peut expliquer le renvoi à cet Évangile plutôt qu’à celui qu’évoque la théologienne américaine, Jésus reprend peu de temps après le geste de cette femme. En effet, il lavera les pieds de ses disciples et les essuiera avec vigueur (Jean 13, 4-12), ainsi que le fait encore le pape à la veille de Pâques. Malgré les différentes versions de cet épisode pré-pascal, on peut néanmoins constater que Jésus, à chaque fois, mais différemment, honore la femme.

                                                                    

L’idée de un tel livre en 1996 est venu à Agathe Lafortune et Marie-Andrée Roy après la publication de divers articles sur des femmes en Église dans L’autre parole. Compte tenu de la réception de ces derniers, elles décidèrent d’aller plus loin et de solliciter leur entourage. La structure du livre est faite pour avoir que quiconque le désire puisse faire une lecture chaque semaine, car 52 chapitres sur 52 femmes du christianisme allant du premier  au vingtième siècles, sont proposés, et ce, grâce au travail de trente-cinq collaboratrices, dont certaines ont mis l’épaule à la roue plus d’une fois. Je pense notamment à Marie Gratton, qui a signé quatre textes, à Louise Melançon, à Françoise Deroy-Pineault et à Réjeanne Martin qui, chacune, ont écrit trois textes. Malgré ce foisonnement de voix et les horizons fort diversifiés des autrices, elles ont réussi à donner un ton unifié à cet ouvrage. Toutes se sont pliées à la nécessité de présenter des éléments biographiques, des extraits et une réflexion inspirée.

 

Certaines des figures choisies sont assez connues, telle que Marie Madeleine, Félicité et Perpétue, Théodora, Hildegarde de Bingen, Jeanne d’Arc, Marie Gérin-Lajoie et Simone Weil, mais plusieurs le sont moins : Mechtilde de Magdebourg, Elizabeth Fry, Lucretia Mott – une féministe américaine de la première génération, abolitionniste, prédicatrice quaker et amie d’Elizabeth Cady Stanton, dont il est également question –, Alexandre David-Néel – une cantatrice, orientaliste, écrivaine, adepte de la théosophie – et plusieurs autres. Mon invitée a écrit, elle, sur Claire d’Assise (1194-1253) et Petronille de Chemillé (1091-1149) pour des raisons fort intéressantes. 



Quoi qu’il en soit, l’admiration exsude entre les lignes. À lire la méditation rédigée pour l'abbesse, on a même l’impression que l’autrice serait prête à dire que cette femme, voire toutes celles convoquées à ce mémorial de papier (les plus solides, pardi!), étaient, dans une certaine mesure, soit celle de leur temps, des féministes, étant donné qu’elles ont toutes contribué, à leur façon, à l’amélioration de la condition des femmes (cette expression m’écœure, mais je cède), à leur émancipation ou à la reconnaissance de leur capacité, sinon de leur égalité. À plusieurs reprises, ces femmes honorables sont honorées parce qu’elles agissent comme des hommes, notamment Madeline et Geneviève, laquelle est comparée à Esther et Judith, lesdites « Héroïnes des causes désespérées » parce qu’elles viennent à la rescousse quand les hommes ont abandonné la partie... À cet effet, Irène, qui rétablit le culte des images (concile de Nicée de 787) transcende les limites imposées à son sexe par sa qualité d’empereur! On aura plus d’une occasion de voir que ce genre de trouble dans le genre est beaucoup plus fréquent ou beaucoup moins récent qu’on peut le penser…

 

Par ailleurs, maints fragments de vie relatés dans le livre au menu sont celles de Québécoises que l’histoire a rudement négligées. Restées dans l’ombre, ces femmes ont pourtant toutes grandement contribué à bâtir le Québec, dont Jeanne Mance qui a été reconnue seulement récemment co-fondatrice de Montréal avec Maisonneuve, soit en 2012. Dans de pareils cas (mais sans grande reconnaissance), il y a, entre autres, Marguerite Bourgeois, Marie-Josephte Fitzbach, Jeanne Le Ber, Esther Blondin, Marie-Luce-Hermine Frémont et Dina Bélanger (faites vos recherches, lisez le livre, c'est fascinant)… Est-ce que notre dite société distincte peut belle et bien se considérer féministe quand la majorité en sait si peu sur les contributions majeures de ces femmes ? Qu'est-ce qui peut bien expliquer cette éclipse ? Faut-il y voir un rejet en bloc des « affaires religieuses », lesquelles s’avéraient plus souvent qu’autrement du travail social, ou encore la classique invisibilisation des femmes, voire le refus de reconnaître qu’il existe des leaders au féminin de tous temps, dont nombre de diaconesses, abbesses et fondatrices d’ordres religieux, des femmes émancipées au fort caractère et des autrices extraordinaires (notamment, Marguerite Porète, Julienne de Norwich, Margery Kempe, Marguerite de Navarre, Thérèse D’Avila, Juana Ines de la Cruz, Lucretia Mott) ? Est-ce un désintérêt généralisé ou un effet collatéral des discours religieux sexistes et misogynes, voire des positions de l’appareil clérical à l’égard des femmes et de la place subordonnée qu’elle veille à leur faire tenir dans le champ religieux, et ce, malgré la canonisation récente de plusieurs ? Peut-on penser que cette méconnaissance du rôle des bâtisseuses, pour ne pas dire cette ignorance crasse, a un effet dévastateur sur notre compréhension de l’histoire québécoise et nuit pas à l’affirmation de notre identité, à toustes ? Vous savez, une identité tronquée de sa moitié en est-ce toujours belle et bien une ? Ces questions demeurent sans réponse, les recherches pour en fournir des éléments le moindrement rigoureux exigeraient d’énormes équipes et subventions…

 

Marie-Andrée Roy a affirmé, dans un entretien réalisé pour la revue Nouvelles Questions Féministes de 2019 (« Marie-Andrée Roy, sociologue des religions et chercheuse féministe. Quarante ans avec la Collective féministe et chrétienne L’autre Parole au Québec », Nouvelles Questions Féministes, 2019/1 (Vol. 38), p. 120-135) : « Nous savons que l’ensemble des femmes sont des sujets sociaux appropriés collectivement par l’ensemble des hommes. Les femmes croyantes catholiques sont en outre appropriées par les clercs, et que les rapports d’appropriation dans l’Église sont occultés par le discours qui stipule que les femmes ne travaillent pas pour les clercs, mais qu’elles se dépensent plutôt sans compter pour le Christ-Jésus ». Dans le livre collectif Mémoires d’elles, on voit à maintes reprises que les femmes, hormis un engagement social visant l’amélioration des conditions de vie des plus faibles, incluant évidemment les femmes, sont motivées/animées par leur amour de Dieu et se considèrent messagères de Dieu. Pour cette raison, on est donc en droit de se demander si les autrices réussissent à éviter de reconduire le cliché de la dévotion (et/ou dévouement?) des femmes, lesquelles sont peut-être tout autant aliénées, constamment empêtrées dans le système machiste, et ce, des premiers siècles à maintenant ou à  suggérer une certaine émancipation (ou une émancipation certaine) de l’institution et de ses discours par une prise de pouvoir ? C’est à vous de le découvrir. 



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