THE WOMAN'S BIBLE

Dans l’émission de la semaine du 28 septembre (toutes les émissions archivées se trouvent ici), il a été question d’un livre fondateur de la lecture féministe de la Bible : The Woman’s Bible, dont les deux volumes ont été publié en 1895 et 1898. À l’initiative de Elizabeth Cady Stanton, une suffragette et une antiesclavagiste américaine, alors âgée de 80 ans (!), une vingtaine de théologiennes ont relu les textes en s’attardant plus particulièrement aux passages traitant des femmes pour déconstruire, grâce à la critique historique et théologique, des lectures considérées enfermantes. Même si elles se virent imposé la censure par l’association Biblique (plus ça change plus c’est pareil), leur opus n’en rencontra pas moins un vif succès. En fait, The Woman’s Bible a été un véritable best-seller, le premier tome sur Genèse, Exode, Lévitique et Deutéronome, s’est vu réédité sept fois avant même que le second sur les livres suivants ne paraisse !


The Woman's Bible: Stanton, Elizabeth Cady: 9781984032157: Amazon ...


Une Bible des femmes : Vingt théologiennes relisent des textes controversés est un autre best-seller dont j’ai traité dans la seconde partie de l’émission, et ce, avec Pierrette Daviau, une des trois codirectrices de ce livre collectif paru en 2018, et qui, trois ans plus tard, a été réédité trois fois, a été traduit en italien et paraîtra bientôt en espagnol! Nulle n’aurait pu prédire un tel succès!


Une Bible des Femmes: Amazon.ca: Parmentier, Élisabeth: Books


À l’origine de ce projet, il y Élisabeth Parmentier et Pierrette Daviau qui avaient le désir de traduire le vieux bouquin susmentionné, mais trouvaient qu’il s’avérait difficile à réactualiser. Par exemple, certains passages suggèrent des relents crasses d’antisémitisme, héritage d’un christianisme ayant été très enclin à jeter la pierre aux Juifs, sans compter des visions essentialisantes parsemées par-ci par-là... Compte tenu de cet os, l’éditeur chez Labor et Fides leur proposa de produire leur propre bible, ce qui ne tomba évidemment pas dans l’oreilles de sourdes. S’associant à Laurianne Savoy, une jeune doctorante de l’Université de Genève travaillant sur l’ouverture du pastorat à la mixité hommes-femmes, dans les Églises protestantes de Genève et Vaud, elles ont réuni une vingtaine de théologiennes et d’exégètes francophones (je tiens à le préciser, puisque la quatrième de couverture parle uniquement de théologiennes et de chrétiennes, alors que ce n’est ni mon cas ni celui d’une de mes collègues) pour la concevoir et pour mettre au monde, non pas La Bible, mais UNE Bible, qui, par son titre, n’est pas déterminée et ne se revendique pas d’être la seule. C’est simplement une autre bibliothèque qui s’ajoute aux autres — le mot grec biblia référant précisément à une collection ou une multitude de livres, tel qu’on en trouve justement dans les Bibles traditionnelles (Genèse, Exode, Deutéronome, Lévitique, Juges et j’en passe). Ce n’est pas non plus une bible de LA femme, comme il en va dans le titre des ancêtres états-uniennes, mais DES femmes puisqu’il importait de rappeler que ce vocable renvoie à différentes expériences et à diverses réalités, les femmes ne formant évidemment pas une catégorie homogène, mais surtout parce que LA femme n’existe pas, ni dans la Bible ni ailleurs. En fait, elle n’existe nulle part, ainsi que l’a dit, notamment, Lacan (je mentionne ce chantre de la psychanalyse, car la semaine prochaine, je reçois Lydwine Olivier dont le travail s’appuie quelque peur sur son approche). Cela dit, je reviens à nos moutonnes qui ne suivent pas un bon berger et pour qui il importait de mettre en valeur le fait qu’il n’y a pas une image isolée ou des normes spécifiques dans les écrits bibliques, mais DES femmes dans une très grande diversité de rôles : prophétesses, reines, participantes au gouvernement du peuple d’Israël notamment en tant que juges, comme l’a si bien dit Parmentier dans une entrevue accordée à Terra Femina en décembre 2018 ! Par ailleurs, on peut dire que ces femmes au pluriel ou plurielles représentent autant les autrices d’aujourd’hui que les personnages qui se trouvent dans les récits bibliques. La polyphonie est un trait important de ce livre qui s’appuie sur la conviction que les valeurs féministes et la lecture de la Bible ne sont pas incompatibles, pas plus que des femmes toutes différentes travaillant de concert… Pour citer Pierrette Daviau, « quand des femmes se décident, il n’y a rien pour les arrêter…pas même le temps » (le projet ayant été lancé en 2017 et la parution ayant eu lieu en 2018, ce qui représente un véritable tour de force dans le monde de l’édition). 

 

Dans l’abondante couverture médiatique, il a été fréquemment question des dix catholiques et des dix protestantes qui appartiennent à différentes générations du féminisme : les plus jeunes n’ayant pas trente ans et les moins jeunes approchent 80 ! Encore, je me dois de corriger le tir, car des identités imposées sont choquantes. En fait, je ne me considère pas plus catholique que théologienne, mais, certes, féministe. En plus, il m’importe de le spécifier parce que mon travail est motivé par l’idée qu’il ne faut pas laisser la culture religieuse aux seules personnes qui se disent religieuses, surtout quand elles référent aux systèmes millénaires pour asseoir leur pouvoir, instrumentaliser des propos anciens, décontextualiser des paroles dites sacrées, et ce, afin de pousser leurs agendas et limiter les libertés. Au cœur de ma motivation à traiter de ces questions, il y a le désir de faire connaître pour outiller, parce que même incroyant ou incrédule, il faut demeurer vigileant.e.s.

 

Trêve de justifications, on voit quand même, de la sorte, que le féminisme est un mouvement, diversifié, polymorphe et voué à changer incessamment. Toutes partagent néanmoins la conviction que la Bible peut être lue à frais nouveaux et qu’elle recèle un potentiel libérateur pour les femmes d’aujourd’hui. Originaires d’Europe, c’est-à-dire de France, de Belgique, de Suisse, d’Allemagne, mais aussi du Canada et de l’Afrique, notamment du Bénin et du Cameroun, elles partagent leurs visions respectives des textes et, fait qui peut de prime abord paraitre étonnant, l’ancrage dans leur milieu culturel n’a jamais pour effet de les limiter. Au contraire, les préoccupations se recoupent, se rejoignent, preuve qu’on peut être aux antipodes géographiques sans pour autant l’être sur le plan des idées. Les treize chapitres, écrit en écriture inclusive ou en langage épicène, présentent tous une analyse, rigoureuse et engagée, de diverses thématiques bibliques liées aux femmes dans l’ensemble du canon. Chacun prend appui sur des questions existentielles que les femmes se posent toujours aujourd’hui. Même si plusieurs pensent que les textes bibliques sont archaïques et légitiment toutes sortes d’asservissements et de normes, ils peuvent encore nous parler et nous aider à nous libérer. 

 

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RÉFÉRENCES
E. C. Stanton, 2003, The Woman’s Bible. A Classic Feminist Perspective, Mineola : Dover Publications      Inc. 

E. Parmentier, P. Daviau et L. Savoy (dir.), 2017, Une Bible des femmes. Vingt théologiennes relisent         des textes controversés, Genève : Labor et Fides.

L. Savoy, « Des groupes de théologiennes protestantes à Genève (1978-1998) : entre espace de partage et laboratoire féministe » https://www-cairn-info.proxy.bibliotheques.uqam.ca/revue-nouvelles-questions-feministes-2019-1-page-36.htm

 

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PIÈCES MUSICALES

Sanctus de Gabriel Fauré, provenant de son Requiem, un des plus doux de tous ceux qui me fut donné d’entendre.


The March of Women de Ethel Smyth. « La marche des femmes », composé par Ethel Smyth (musique) et Cicely Hamilton (paroles) en 1910. Véritable hymne des suffragettes, elle a été interprétée pour la première fois, raconte-t-on de-ci de-là, pour accueillir des suffragettes à leur sortie de prison. J’ignorais TOTALEMENT tout cela jusqu’à ma visite chez Marie-Andrée Roy qui, généreuse de son savoir et de ses avoirs, m’a prêté des CDs (ouf) qui pourraient m’intéresser. Hormis des enregistrements de Karina Gauvin, la cantatrice québécoise, se trouvait donc une compilation des œuvres de cette anglaise. Je reproduis ci-dessous une traduction libre de ce chant tellement galvanisant !




Gueulez, gueulez, haut (et fort) avec votre chant !

Pleurez avec le vent, puisque l’aube pointe ;

Marchez, marchez, vous font passer,

Notre bannière en grand, et l’espoir se réveille.

Chanter avec son histoire, rêver avec sa gloire

Nous ! Elles appellent, et heureuse est leur parole!

De plus en plus fort, elle se gonfle,

Tonnerre de liberté, Voix du Seigneur !

 

Longtemps, longtemps — nous dans le passé

Tapies dans la crainte de la lumière du ciel,

Fortes, fortes — nous voilà enfin,

Sans peur dans la foi et avec un regard nouvellement donné.

Force avec sa beauté, Vie avec son devoir,

(Écoutez la voix, oh écoutez et obéissez !)

Celles-ci, celles-là, nous invitent !

Ouvrez vos yeux sur le feu du jour.

 

Camarades — vous qui avez osé

Premières dans la bataille pour l’effort et la peine !

Méprisées, rejetées—vous ne vous êtes souciées,

Levez les yeux vers un plus grand demain,

Chemins qui sont lassants, jours qui sont mornes,

Labeur et douleur par la foi vous avez supporté;

Heille, heille— Victorieuses, debouttes,

Portant la couronne que les braves ont portée !

 

Vie, lutte — ces deux-là ne font qu’un.e,

Vous ne pouvez gagner qu’avec conviction et audace.

Allumer, allumer — c’est ce que vous avez fait

Mais pour préparer le travail d’aujourd’hui.

Fermes dans la confiance, le rire est défiance,

(Riez dans l’espoir, c’est sûr, c’est la fin)

Marchez, marchez —ensemble comme une seule,

Coude-à-coude, d’amie-à-amie.

 


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