LA FEMME DANS GENÈSE 3
De femme-objet à femme-sujet…de la parole, par laquelle Ève déborde
Ève a un rôle actif. De sa posture de « pas-toute » (Thank goddess !), elle prend place dans la création de l’adam comme celle à qui s’adresse le serpent venu d’ailleurs. C’est avec le serpent que le premier dialogue s’instaure (Adam crie, mais Ève, avec le rusé, sage ou subtil, prudent et avisé personnage, comme dans Proverbes 14, 8, parle au travers ou se manifeste à travers la parole nécessitant de l’autre, autre que l’Autre) et qu’Ève s’éprouve comme sujet parlant et désirant. Et le serpent, en s’adressant à elle, en fait une négociatrice et une pourvoyeuse de nourriture (ne serait-ce d’ailleurs une importante part de sa dite destinée ?). En effet, en Genèse 3, 1-5, on peut lire : « Le serpent était le plus (ARUM) astucieux/rusé/subtil parmi tous les animaux des champs qu’avait faits YHWH Élohim. Il dit à la femme : « Vraiment, Élohim a dit : Vous ne mangerez pas de tout arbre du jardin ? » La femme dit au serpent : « Nous mangeons le fruit des arbres du jardin. Mais le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Élohim a dit « vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas de peur de mourir ». Le serpent dit à la femme : « Non, vous ne mourrez pas de mort (Lo met temoutoun) ! Car Élohim sait que, du jour où vous mangerez, vos yeux se dessilleront et vous serez comme des dieux (Ke’lohim), connaissant le bien et le mal ».
Avant de poursuivre sur le récit, quelques mots sur les ceux dont la traduction est offerte.
Le serpent (arum, qui permet un joli jeu de mot avec arom qui se traduit par nudité) – animal fondamental dans toutes les mythologies de tout le Proche-Orient ancien – ne parle pas de YHWH Élohim, mais d’Élohim seulement. C’est la seule occurrence de tout le chapitre, laquelle peut être un renvoi à Genèse 1 où l’adam est androgyne et Dieu n’est justement qu’Élohim, Celui dont le pouvoir particulier est de créer et séparer. De plus, par l’usage du pluriel dans ce passage, il est évident que la femme est incluse dans l’interdit imposé à Adam. De plus, elle parle de l’arbre qui est milieu du jardin qui, auparavant, est l’arbre de vie, mais plus ici… comme s’il y avait deux arbres se voisinant…Enfin, la femme étant « officiellement » seule dans cet échange avec le serpent, on peut penser qu’elle tend davantage vers la condition de dieu (Élohim étant un pluriel). Cela dit, ce pluriel, employé autant par le serpent que par Dieu dans les paroles rapportées par la femme, sert peut-être suggérer que l’adam est là, qu’elle et lui sont ensemble. En effet, à trois reprises, on trouve ce « vous », ni homme en général, ni homme ni la femme, mais l’homme et la femme ensemble (réunis en une seule chair…). Ensuite, en Genèse 3, 6-9 : « La femme vit que l’arbre était bon à manger (pas le fruit !), tentant pour les yeux et que l’arbre était précieux pour comprendre. Elle prit de son fruit et en mangea. Puis elle en donna à l’homme et il en mangea. Alors leurs yeux se désilèrent et ils surent qu’ils étaient nus (rumim, soit plus très loin du serpent…). Ils cousirent des feuilles de figuiers et s’en firent des pagnes ». C’est la culmination du récit, la parole qui éveille la responsabilité éthique inhérente au pouvoir que l’humanité reçoit au sein d’un monde confié à ses soins. L’homme et la femme deviennent informés des différences indépendamment et individuellement, mais à travers l’un l’autre. Ils acquièrent de nouvelles fonctions et, par leurs liens, se distinguent l’un l’autre. L’entrée dans l’histoire se fait par la perte de l’accès à l’immortalité.
Ce supposé seul mythe biblique m’apparaît tel puisqu’il ne convient pas qu’Adam et Ève restent au paradis, en parfait idiots ou ignares, alors que Dieu a besoin de l’histoire. Dieu devait donc songer qu’en refusant un seul accès et non pas des pléthores, ses créatures en baveraient. Barbe Bleue qu’on se représente à défaut blanche et qui laisse la clé sur le trousseau, qui donne sa langue au serpent pour que sa machination fonctionne, que le test donne une nette impression d’échec alors que la réponse donnée est la seule réponse possible (sinon, le récit finit probablement ici). De plus, s’ils avaient eu les outils ou la force aux bras pour l’abattre cet arbre, le réduire en minuscules copeaux, puis en farine pour s’en faire des galettes et le mettre tout entier dans leur gueule d’animal, ils l’auraient fait ! En tous cas, moi, je l’aurai fait et je pense le faire chaque jour. Come on, l’arbre de la connaissance (dans les mots d’Henri Atlan dans Les étincelles du hasard. Tome I : connaissance spermatique ) ! Tentation suprême, dont une seule bouchée suffit pour entrer dans l’humanité, sortir du jardin et aller par monts et par vaux, non plus nus de sa propre peau animale, mais couverts de peaux d’autres animaux (ayant donc tuer l’autre pour lui arracher son suit !), pour ne plus voir ce sexe à tous vents et aux plus offrants, mais soudainement, quand même, a-voir ce sexe. Parle-moi de ça ! La belle affaire ! Une punition productive, presqu’aussi absurde et dangereuse que celle d’offrir le strict minimum aux condamnés derrière les barreaux, soit enfermer dans l’élémentaire comblé qui, s’il ne l’était pourrait les mobiliser. Ce n’est pas moi qui le dis. Butler suggère au passage qu’assurer le confort de ces derniers, c’est assurer leur mort lente. Félix Leclerc aussi, puisque ça reste tuer un « homme » que de le payer à ne rien faire, de lui remplir la gueule sans qu’il ait à remuer le petit doigt.
L’histoire au jardin nous enseigne le contraire, soit qu’il faut remuer de tous les doigts et grimper aux arbres pour manger de leurs fruits, surtout s’ils sont ceux de l’arbre illicite, pour sortir d’un état paradisiaque et peu exigeant, larvaire ou puéril, et entrer dans le monde, âpre et hostile, pour, peut-être, devenir grand. Passer du liquide au solide, renouveler sa dentition, résister avec le bec et les ongles, ayant dans la peau encore cette animalité qu’on maquille avec l’épiderme souvent plus extravagant des autres, prenant sans pudeur le vêtement de nos frères et sœurs. Car, oui, même vêtus des pieds à la tête, barbus, voilés, gantés, nous pouvons être sans pudeur, sans peur et sans reproche, nus comme aux jours où nous sortîmes de terre et du vagin de notre mère. Anastasier, c’est ressortir de terre, se lever d’où on nous avait couchés, vêtus de nos corps, nos peaux de bêtes, sans pudeur, sans peur et sans reproche. C’est quitter le corps de sa mère, en grand, pour s’élever dans les feuillus et les conifères, s’enivrer de leurs essences, retomber avec tous ces membres, se mirer au lac miroitant et se voir nu, seul, comme un ver. Un ver qui rime et mange du mort, sort de terre pour se refaire lorsqu’il perd des bouts, susciter encore et encore l’érection, tisser le cocon et se draper de peaux magnifiques. Manger de l’interdit, extraire le lait de ce qu’on y aura compressé et compris, tisser ce soi grâce à ce gluant résultat. »
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Pour aller plus loin
Angliviel De la Baumelle, L. « Ève à l’Épreuve des pères » dans J.C. Schmitt (dir.) Ève et Pandora. La création de la première femme, Paris: Gallimard, p.69087.
Henri Atlan, 199, Les étincelles du hasard. Tome I : connaissance spermatique, Paris : Éditions du Seuil.
Schmitt Pantel, L, P. 2002, « La création de la femme : un enjeu pour l’histoire des femmes ? » dans J.C. Schmitt (dir.) Ève et Pandora. La création de la première femme, Paris: Gallimard, p. 211- 232.
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La faute à Ève de Anne Sylvestre provenant de son album J’ai de bonnes nouvelles (1977-78). Dans la chanson, je souligne que – hormis la phrase coup de poing finale : « Le bon dieu est misogyne, mais le diable, il ne l’est pas –, il est question de la pomme. Or, dans le texte, il n’y a pas de pomme. En fait, le fruit, si ce n’est tout simplement pas de l’arbre (voir citation de la semaine précédente, mais aussi le livre de Henri Atlan susmentionné, une véritable somme encyclopédique sur les origines !), est devenu cette rouge, verte ou jaune affaire (comme des feux de circulation !) en raison d’un jeu de mot ou, pour être plus précise de ce glissement sémantique de malum à malum, soit du mal à la pomme en latin et dont la plus ancienne attestation vient d’un écrit de Metelli qui a été repris par Cyprien et plus largement diffusé grâce à un poème d’Avit. Qu'on se le tienne pour dit, dans la tradition juive, c’est plutôt un cep de vigne, tandis que dans La Septante, c’est un figuier…
The Beginning de Philip Glass sur l’album Anima Mundi (1993), pas nécessairement son meilleur et surtout pas son plus connu, mais qui n’en est pas moins, comme à l’habitude de ce rigoureux minimaliste, vraiment intéressant.
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Maurane & Lara Fabian, Tu es mon Autre
John Lennon – Woman
Natasha St-Pierre - Un ange frappe à ma porte
Florent Pagny – Et un jour une femme
Julie Pietri – Éve lève-toi
Quant à moi, je vous invite à réécouter (souvent) Woman Power de Yoko Ono, ainsi qu’une playlist bien nommée sur Spotify: The First Woman par Ana Witonsky
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