Une soirée pour sept années?

En dignes Canadiens, nous sommes à l’heure indiquée, soit 17h. Les places réservées aux officiels au pied de la scène sont partiellement occupées, surtout par des femmes joliment parées. À gauche à droite, ces petits groupes de personnes de beige ou de violet vêtus font le pied-de-grue. Les boubous beiges sont à l’effigie de Mackie Sall, ses traits, ses phrases chocs, la tête de cheval de son parti ou plutôt de sa coalition, Benno Bokk Yaakaar ou BBY, qui veut dire : « tous unis vers un même but » : le but étant 2035. Les femmes parées des boubous violets portent des maquillages particuliers, propres à la tribu d’origine que sont les Diolas. Dans notre errance, réalisant que l’événement commencera bel et bien vers 19h pour donner le temps à la populace de se rendre sur les lieux avant que le jour ne tombe, nous devenons rapidement les proies de n’importe quel rabatteur. Cependant, grâce à une étrange baraka, c’est un jeune homme de bien et qui nous veut du bien qui aborde en premier, bien évidemment, Sylvain (les noms ont été changé pour conserver l'anonymat des personnes). Ce dernier se réjouit que celui portant une casquette et un t-shirt « Macky Président » puisse l’informer de quelques tenants et aboutissants de la politique actuelle, malgré sa partisannerie clairement affichée.


 




Pendant ce temps, je m’épanche avec mon Nikon, heureuse de retrouver un peu de solitude dans une foule en devenir et ce passe-temps trop négligé aux alentours de la maison. Or, une pareille célébration me laisse le loisir de croquer madame chose et monsieur truc avec mon appareil, car personne ne se formalise quand des journalistes se faufilent entre les corps et c’est sans compter que la blancheur de ma peau peut faire penser que je suis une reporter de calibre international !


Les cacahuètes pleuvent – cadeau de celui qui se révélera dans les minutes qui suivent un jeune étudiant soufi féru d’Allemand et de poésie –, et ce, bien qu’on nous ait averti de ne pas accepter ce genre de présent. Les offres continuent et si l’homme se garde une petite gêne, je m’empresse de les accepter, aucune souvenir matériel n’arrivera à la cheville des oripeaux de cette présidentielle rapportés en nos terres nordiques. C’est d’ailleurs de très bonne foi que Babacar nous intime de les prendre, sachant que nous ferons la couverture d’un quelconque canard d’ici si on parvient à parler au ministre du tourisme qui est attendu par la foule de plus en plus en liesse, de plus en plus grande : enfants poussiéreux qui cherchent un cœur généreux, jeunes femmes qui cherchent une place de choix et surtout membres d’organisations payées pour trainer ses membres à ce rassemblement et convaincre ceux et celles qui, naïvement, regarderons le tout de la télévision, de voter, encore, mais dès le premier tour pour le président. Un gros et grand homme hurle dans un micro, réchauffe ceux et celles qui eurent la chance d’arriver les premiers et savourer les notes lancées dans le ciel encore clair par des femmes debout sur scène. À leur pied, sur le parterre des mortels, néanmoins quelque peu VIP, s’agitent des corps enroulés dans des tissus wax multicolores.



La fête est définitivement commencée. Entre nos conversations sur nos activités, notre guide se démène pour nous enseigner les rudiments de la vie politique sous la botte de Macky, que tous appellent par son petit nom, comme un proche. Tous? Non. On apprend qu’inévitablement cet homme au pouvoir depuis sept ans est détesté, au même titre que certains de ses opposants qui se sont trouvés derrière les barreaux (Idrissa Seck), ont fait le barreau (Madické Niang) ou furent radiés de leur profession (Ousmane Sonko). Tout l’argent dépensé pour la promotion de ce dit « génie politique », dixit le magazine* lustré tiré à 20 000 exemplaires qu’on m’a remis (Le gros titre est YOKKU et le sous-titre insiste : l’info, la vraie!) même si je n’aurai pas ma voix au chapitre le fatidique dimanche et malgré le poids infime que je représente dans ce « rendez-vous décisif pour la démocratie », me paraît indécent. Monde bling-bling, politique publicitaire, si ce « natif de Falick a pris comme engagement de lutter contre la cherté de la vie, le chômage des jeunes et la corruption» (Les citations proviennent toutes de la brochure qui, finalement, a un certain usage, bien que je ne sois une électrice) en 2012, on peut douter, sept ans plus tard que ces vœux pieux se sont réalisés. D’autres, plus chanceux, arborent des t-shirts blancs où, en vert, jaune, rouge s’écrit SÉNÉGAL 2035, parce que l’Émergence, avec une majuscule, doit alors être consommée, la vision de l’ingénieur géologue tirant manifestement beaucoup d’argent par les fenêtres jamais vraiment fermées de cette contrée enfin achevée.

 


   
Une créature aux mêmes teintes que leur joli drapeau surplombe tous et toutes sur ses échasses*, c’est Tchakal (je comprends maintenant que j’ai mal écrit ou mal compris le mot dit, car je ne retrouve rien qui vaille qui m’en dirait plus). Quoi qu’il en soit, il y a de plus en plus de gens et, à n’en pas douter, plusieurs dans leur excitation et leurs débordements sont sincères. Tous ne sont pas là strictement parce que pend, au bout de leur nez, un peu de ces drôles de francs. Le jeune qui, tout ce temps, nous accompagne, en est un.  



 
Deux grands échalas agitent de bonbonnes au bout desquelles brûlent des flammes bleues et vertes. Ça crie, ça danse, les tamtams n’ont pas cessé depuis l’arrivée des troupes de boxe, les gardiens de sécurité semblent se multiplier, leurs bras semblent gonfler à mesure que le ciel s’obscurcit.


La fatigue me scie le dos, les deux responsables d’Allo Dakar, un important site internet francophone, s’intéressent à nous, les deux pauvres blancs innocents qui sont venus sourire non pas à l’homme dont ce devrait être le bilan, mais à tous ces gens qui y croient ou pas.  J’oserais dire que si, en ce journée dominicale, l’attente escomptée des plus fervents partisans est rencontrée, ce sera probablement en raison de cet investissement manif pour séduire, convaincre d’une puissance et d’un prestige, voire d’une maitrise des ficelles capitalistes de l’ancien marxiste-léniniste. 


Est-il possible de prédire quoi que ce soit quand aucun sondage n’est réalisé pour peut-être faire pencher la balance d’un côté à partir d’une toute petite soirée (un article du 3 mars signé par le Président Ndiaga Gueye parle de la victoire grâce au Big Data et à toute la parade électorale en des termes forts et des expressions assez éloquentes comme, par exemple, « redoutable machine de guerre »), bien localisée dans un seul rond-point de la presqu’île du Cap-Vert qui en compte probablement une centaine? Est-il surtout possible d’avancer un quelconque pronostic lorsque la politique de cette République était, jusqu’à hier, parfaitement ignorée de votre autrice? Est-il pensable de saisir la moindre subtilité de ce jeu où alliances familiales, appartenances ethniques, affiliations à des foyers religieux et des chefs coutumiers se mêlent aux réalités rimant avec manne pétrolière, intérêts supérieurs, élection apaisée et, principalement, développement? En 2019, le travail de tous les Sénégalais à qui appartient ou appartiendra sous peu le Sénégal - un des slogans de la campagne de Macky Sall est : « Un Sénégal pour tous les Sénégalais » - est de réaliser l’importance majeure de cette date dans l’histoire de leur pays, si ces mêmes Sénégalais font le bon choix et votent pour « l’homme qui devra tenir les rênes du pouvoir pour un quinquennat qui s’annonce (qu’on annonce?) déterminant pour l’avenir socioéconomique du pays ». La charge est tellement grosse, présentée par les bonzes des communications de celui qui tirent déjà les ficelles, les rênes et les autres cordes qui peuvent pendouiller aux dos des acteurs et actrices politiques, que je peine à croire que les cases cochées au crayon le seront à la légère. Pourtant, la bise qui s’immisce entre les peaux et les vêtements promotionnels*, elle, l’est; autant que l’ambiance est bon enfant, mais pour combien de temps? Pourra-ton faire croire à la fête jusqu’à dimanche, voire jusqu’en 2035? Ne vaudrait-il pas mieux se rabattre sur le gros bon sens et dire, en chœur, avec le parti des « Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la Fraternité » (PASTEF) : « L’avenir, c’est maintenant »?
 


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