Journée d'élection au Sénégal

Le 24 février, soit le lendemain d’une soirée très arrosée, mais surtout un jour autour duquel nous avons organisé notre horaire, la ville est morte. Les sons habituels qui troublent nos sommeils ont faits place à un troublant silence, parfois troué par un cri animal. Toutefois, même les bêtes semblent s’alanguir dans la tranquillité si rare dans les quartiers de cette cité ayant littéralement explosée en 30 ans, puisqu’on y comptait aux alentours de 1990 environ 400 000 habitants. En cette douce matinée, qui commence avec des relents malaisants de la veille et un soleil qui plombe en plein milieu du ciel, on pourrait penser que nous sommes revenus en arrière. Lorsque je sors pour faire quelques courses, bien que ce soit contre indiqué ou déconseillé, puisqu’il n’est jamais certain que des élections en contexte africain ne se transforment en poudrière, et ce, même si la réputation des Sénégalais n’insiste pas sur leur bellicosité ou agressivité notoire, je me sens drôlement seule au monde. Dans la poussière qui virevolte, j’avance vers le rond-point où des gendarmes interpellent les quelques automobilistes et chauffeurs d’autobus, qu’ils redirigent au gré de je ne sais. C’est sans surprise que je constate que le Casino est inaccessible, le grillage fermé et que je rebrousse donc chemin dans la chaleur, plus étrange, parce que due strictement à la nature, la horde des véhicules ne contribuant pas à l’augmentation calorifique de l’air. Au moment où j’écris ces lignes, il est question depuis déjà deux jours de « poussière de grande étendue » sur le site météorologique que je consulte. Est-ce lié à la confusion du décomptage des votes qui perdure, comme si un nuage s’était posé partout pour qu’on voit peu clair et qu’on perde l’envie de se prélasser sous le soleil? Mes visites à tous les commerces fréquentés pour s’approvisionner sont ce jour-là sans succès, je dépense donc beaucoup pour la commande au « dépanneur » et chez le marchand ambulant. La route de l’aéroport est déserte, une motocyclette de la force constabulaire, gyrophare ouvert, roule à vive allure, une bagnole de temps en temps, dans un sens ou dans l’autre, roule. Les piétons s’avèrent des surgissements pareils, silhouettes noires qui traversent l’espace vidé de son activité. C’est fantomatique, comme si l’invitation à rester chez soi avait été bien entendue, sauf probablement des électeurs et électrices. De la sorte, c’est certain que c’est la paix qui règne, même si les heures suivantes vont faire chauffer la marmite qui, jusqu’ici, est restée bien froide, au pire, tiède. En effet, bien que les premiers résultats suggèrent qu’un deuxième tour sera nécessaire, le premier ministre de Sall le proclame vainqueur à 57% en début de soirée, ce que Seck et Sonko vont rapidement contredire, invitant leurs partisans à dénier cette information devant tous les médias du monde entier. La réponse finale doit plutôt tomber vendredi et les résultats provisoires, mardi midi. Nous sommes mardi, 13h38 et ma recherche sur Internet ne m’annonce toujours rien…

 

Et le résultat est…

C’est à Keur Massar, dans la famille de Babacar rivée à la télé que nous apprenons de la bouche d’un juge les résultats finaux. Pourtant, notre visite a lieu le jeudi…Je n’y comprends plus grand-chose, sauf peut-être que l’option politique favorisée par le patriarche est souvent celle de tous ces descendants, mais aussi qu’il est quand même possible d’y opposer, l’oncle maternel de Babacar ayant voté pour Sonko, bien qu’il arbore le même fameux t-shirt que nous avons reçu en guise de souvenir. Une gratuité manifestement appréciée par plus d’un et pas que des partisans. À la grande surprise générale, après une semaine d’accusations de déportation de fonds, on parle ici de milliards sortis de la caisse sénégalaise pour être envoyé à l’étranger, de votes faits par des enfants de 15 ans et autres malversions, le juge, nerveux et sérieux, annonce que Mackie Sall est élu à 58%!!!! Tiens donc! Si ce n’est pas arrangé avec le gars des vues! C’est gros, c’est douteux parce que c’est bien que trop proche de la prophétie présidentielle… Je n’y crois pas. Bouchée bée, assise devant l’immense écran, je suis convaincue que Seck et Sonko vont contester – ils ont légalement trois jours pour le faire, donc l’attente est relancée à nouveau. Ces élections, comme la longue campagne, ne semble n’avoir jamais de fin. Dans les minutes qui suivent cette fatidique annonce, l’oncle nous apprends que les étudiants à Thiès sont sortis dans les rues et mettent le feu en guise de protestation. Nous ne savons pas ce qu’ils incendient – si ce sont des déchets, ce n’est que la vie normale, mais on se doute bien que c’est plus sérieux. Est-ce qu’il y a soulèvements ailleurs que dans la ville de Seck? Est-ce que les choses vont dégénérer? Tout restera en suspens pour le reste de la journée. Puis, dans notre éloignement/isolement du weekend suivant – petit voyage à Kaolack pour assister à un match de lutte, le sport national, qui n’aura malheureusement pas lieu, on n’apprend que la demeure de Seck a été encerclé, on voit aussi des images de Sall avec ses vêtements militaires et on craint le pire. Quand un dirigeant africain se pare de son rôle de commandeur des armées, la soupe est chaude, c’est sûr. Or, arrivés à Dakar, rien. Tout est calme, moins qu’au dimanche précédent, mais tout est revenu dans l’ordre. Les journaux ne s’épanchent pas sur des drames, les résultats n’ont pas été contesté. Tous sont des bons joueur ou mise sur l’avenir, Sonko peut-être plus particulièrement, ayant encore du temps devant lui pour devenir président et faire du Sénégal un pays exemplaire.


Je suis partie le lundi, 5 mars, dans la nuit et tout était comme avant mon arrivée. Il n’y avait eu que quelques vagues dans un verre d’eau. Des élections faites dans la paix selon le désir des autorités, car, malgré la force de cette démocratie, il semble que les autorités, ici, sont prestement obéies, ont le dernier mot.


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