RÉSISTANCE ET RÉSISTANTES

                                                 

Aujourd’hui, j’ai eu, encore, le grand plaisir d’accueillir Pierrette Daviau, professeure retraitée de la Faculté des sciences humaines de l’Université Saint-Paul d’Ottawa où elle a enseigné pendant des années au programme de Counseling et spiritualité, où elle a aussi été directrice du Centre femmes et traditions chrétiennes. Pierrette Daviau, fille de la Sagesse, a beaucoup publié sur les femmes et le christianisme, notamment sur la notion de résistance et sur les femmes résistantes qui peuplent autant l’un que l’autre Testament. À mes yeux, le fait d’être religieuse n’est pas sans lien avec cet intérêt, surtout considérant que Pierrette que, en tant que femme en Église, résister s’avère essentiel, aujourd’hui encore plus qu’avant. Ci-dessous, je reprends ses propos provenant de deux articles publiés dans L’autre parole, soit « Résistances créatives et solidaires sources de libération » et « Des femmes résistantes dans la Bible ». 

D’ailleurs, selon elle, c’est un réel devoir des citoyennes chrétiennes de s’opposer à tout ce qui aliène partout où il y a des injustices manifestes, des abus de pouvoir, de la violence. Elle considère, à l’instar de Michel Long, que la résistance est le cœur même du christianisme. Comme l’a écrit, jadis, René Girard, « Au fond, il y a une valeur chrétienne qu’on oublie, c’est la dissidence, valeur chrétienne par excellence » (cité par Daviau, 2016). Il y a donc incohérence sur le plan des valeurs entre l’engagement public de l’Église en faveur de la justice sociale et le maintien d’une structure patriarcale souvent associée à la même dynamique de domination qui donne lieu au racisme, au colonialisme et à l’appauvrissement des femmes et des enfants, en particulier. À cet effet, l’Église catholique romaine étant une des plus hiérarchisées et organisées – le boys club par excellence – , c’est là que les revendications et les contestations des femmes se manifestent le plus, bien que pas toujours assez fortement contre la morale sexuelle, la contraception, l’avortement, les conditions des divorcées remariées, les compagnes des prêtres, les rôles des femmes dans la liturgie, l’égalité des droits dans les communautés ecclésiales, l’accession au diaconat et à la prêtrise, l’obsession de la virginité, le sacré réservé aux mâles et j’en passe… Certes, dans toutes les religions et les traditions, le statut de la femme se présente sous le signe de l’ambivalence. Elles sont mères et épouses devant être subordonnées aux hommes, mais (peut-être pour cette raison, bonjour rapport de pouvoir) aussi leurs rivales, considérées comme secondaires bien qu’elles donnent la vie et soient, pour cela et maintes autres choses, plus que nécessaires aux hommes. Du moins, c’est le discours auquel l’institution ecclésiale nous a habituées, et qu’on retrouve encore dans la bouche du Pape François. Ses « bons mots » à l’endroit des, entre autres ceux qui suggèrent qu’il veut plus de place pour elles en Église, relèvent cette constante ambivalence…Autrement dit, on donne d’une main pour mieux reprendre de l’autre… 




Or, comme la dissidence est une valeur du christianisme, les femmes rebelles à ces construits s’avèrent peut-être de meilleures chrétiennes qu’on le laisse entendre… Dans le livre de Jacques Ellul, Anarchie et Christianisme, on lit dans la préface : « le christianisme, envisagé dans son rapport à la politique, dispose à l’insoumission, à la dissidence, à la récusation même de tout pouvoir, de toute hiérarchie ». Ces sages paroles m’apparaissent comme une invitation, mais il n’est évidemment pas le seul à parler/rêver d’un « anarchisme chrétien ». Il faut voir les Anabaptistes, qui [récuseraient] la puissance des autorités, Kierkegaard, le père de l’existentialisme, Henri Barbusse, qui a également écrit un livre présentant un Jésus socialiste et anarchiste en 1927, ce qui n’est pas sans me rappeler L’Évangile selon Jésus-Christ de Saramago. Daviau aussi semble en rêver quand elle écrit que la dissidence devrait être vue comme un devoir de bon chrétien et de bonne chrétienne, Jésus, lui-même, ayant été un rebelle, un non-conformiste, qui aurait pu être catalogué dans le camp de la déviance (selon moi, sa crucifixion est la preuve qu’il l’a été par les autorités romaines et juives), mais, a largement contribué à l’avancement de l’humanité et à des améliorations remarquables (oui, je sais c’est le genre d’affirmation qui fait prendre en feu tous celleux qui sont convaincues que la religion sert juste à tuer des gens et n’y voient que les violences, reculs et injustices qu’elle a pu servir...). Quoi qu’il en soit, cette fille de la sagesse me (re)convainc que, lorsque l’autorité outrepasse ses décrets, le devoir de résistance prenant sa source dans le bon sens citoyen ou dans la fidélité à l’esprit de l’Évangile est justifié. Cela dit, il y a évidemment, différentes formes de mécanismes dissidents. Pour elle, on peut retenir deux formes principales de résistance, soit l’opposition et l’invention, mais elle privilégie une forme de résistance créative… Elle pense d’ailleurs que les pouvoirs religieux se sentent souvent les plus menacés par des pratiques (alternatives) provenant de revendications (légitimes), d’où leur penchant à les condamner, à mettre en garde les fidèles, à refuser d’examiner des solutions de rechange. Il n’en demeure pas moins que ces alternatives, on le voit partout. En Asie, les femmes bouddhistes réclament le droit à l’ordination et le droit de tracer les mandalas sacrés. Dans le judaïsme, les femmes étudient la Torah, portent les parchemins sacrés, lisent les Écritures et président les congrégations. En Inde, les femmes commencent à exécuter les danses sacrées et à allumer les feux. Dans le protestantisme, même si on veut donner plus de place aux femmes dans les célébrations du culte, il y a encore beaucoup de difficultés. Par contre, dans le catholicisme, les femmes restent invisibles, car on ne les considère pas comme des êtres spirituels à part entière. 

Pour Daviau, c’est pourquoi il importe de rappeler que dans l’histoire de l’Église, il y eut des épisodes de résistances aux abus, un peu trop nombreux du pouvoir, des personnes qui ont résisté. D’ailleurs, la plupart des femmes qui marquent l’histoire du peuple d’Israël (qui sont incluses, à rebours, dans cette histoire de l’Église) se rangent pour la plupart dans la catégorie des subversives, des dissidentes, des désobéissantes. Ève qui désobéit, Tamar qui séduit son beau-père, Ruth la Moabite qui couche avec Booz, Salomé qui obtient la tête de Salomon… Rachel et Léa, Dalida, la femme de Potiphar, Schiphra et Pua qui ont désobéi à Pharaon qui leur donnait l’ordre de tuer tous les enfants mâles des Hébreux. Il y a Mariam, Déborah et Yaël. De plus, Judith va loin dans la contestation en prouvant qu’une femme peut prendre l’initiative et devenir un modèle de foi et de martyre quand les anciens se calfeutrent dans l’autosatisfaction. Enfin, Esther n’en finit pas de transgresser les ordres du roi pour finalement en être récompensée (Est 5, 1-8), Vashti n’est ni juive, ni proscrite, mais refuse de paraître au festin à l’invitation de son époux, le roi, qui personnifie la loi ; il la répudie sur-le-champ…C’est sans compter Marie. Toutes sont mères de l’invention…. Et toutes ont comme but d’arracher leur communauté à l’anéantissement spirituel ou moral devant l’incapacité de l’institution à trouver de véritables solutions. Paul, que l’on accuse de misogynie dans certains passages des Épîtres, parle de Prisca (1 Cr 16,19 ; Rom 16, 3-5), Lydie (Ac 16, 14-15), Phoebé (Rm 16, 1) et des centaines de femmes qui participaient au dynamisme de l’Église des premiers siècles. Elles célèbrent dans leur maison, instruisant le Peuple dans la foi et présidant de nouvelles communautés chrétiennes sans soulever de débats. On constate donc que dans les textes fondateurs, de nombreuses femmes ont accompli des gestes dissidents pour sauver leur peuple ou pour annoncer le message évangélique. 



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RÉFÉRENCES
H. Barbusse, 1927, Jésus, Paris : Flammarion. 
J. Ellul, 2001 (3ème éd.), Anarchie et Christianisme, Paris : La Table Ronde.
A. Lacocque, 1992, Subversives. Un Pentateuque de femmes, Paris : Éditions du Cerf.
M. Long, 2008, « Resist ! » cité dans A. Ambeault et al., 2009, Dissidence, résistance et communion en Église, Montréal : Novalis, p.7.
José Saramago, 1993, L’Évangile selon Jésus-Christ, Paris : Éditions du Seuil.

PIÈCES MUSICALES
Danse des sauvages de Rameau
Mysterious Ways de Heliocentrics 

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