RITUELS JUDAÏQUES FÉMININS

Valérie Irtanucci-Douillard, cette semaine, nous a parlé des rituels et de fêtes en lien avec les femmes, le féminin (s’il existe!) et/ou les féminismes, puisque les féministes juives ont non seulement publié abondamment ces dernières décennies – en fait, elles ont pris la parole, elle se sont dites et cessent de la sorte à être nommées par autrui –, mais, grâce à leurs actions, elles ont rendu possible plusieurs innovations en ce qui concerne les rites féminins et/ou féministes qui sont apparus depuis les années 70. 



Quels sont ces nouveaux rituels féminins ou féministes ?

Je parlerais plus volontiers de rituels pour les femmes et/ou adaptés pour les femmes. Dans le cadre de l’orthopraxie juive, des rituels sont institués pour accompagner les moments-clés de la vie des femmes, de leur naissance à leur mort. Ce sont des rites de passage. Pour la naissance, les rites créés par les féministes étasuniennes, populaires chez les progressistes français, se nomment les brit leda. C’est l’alliance de la naissance pour une fille, le pendant féminin de la brit mila (circoncision). Ce rite marque l’entrée d’une fille dans l’alliance d’Israël. C’est une nomination religieuse. Il consiste à tremper les pieds du bébé dans de l’eau. Comme bien souvent pour un rite, ce rituel fait référence à un récit mythologique, et ici, notamment à l’épisode de la Genèse où Sarah et Abraham accueillent des étrangers. 

Au moment de l’adolescence, la bat-mitsva est la 1ère étape de l’éducation religieuse qui marque la majorité religieuse. C’est à Jacob Ettlinger (1798-1871), grand rabbin d’Altona en Allemagne, que l’on doit les premières cérémonies de bat mitzva orthodoxes, au milieu du 19ème siècle. Il rédigea même des sermons pour ces occasions solennelles. Institués en 1846 chez les Réformés, elles étaient d’abord collectives. Depuis les années 1980, elles deviennent de plus en plus individuelles. L’organisation d’une bat-mitsva est très libre. Elle peut se faire au sein de la famille ou à la synagogue. La première fille à le faire aux États-Unis, en 1922, est la fille du rabbin Mordechai M. Kaplan, du mouvement conservateur. Cette cérémonie peut s’accompagner du port des attributs – habituellement - masculins (tephilin, kippa, talit, etc.), même si ça ne fait pas encore l’unanimité, c’est plutôt le fait des nouvelles générations. 



La fin de vie est aussi marquée par des rituels funéraires accompagnant la perte d’un enfant, une fausse couche, un avortement ou un enfant mort-né. Par exemple, chaque année, une cérémonie a lieu à l’hôpital Beth Israel, à Manhattan, réunissant des personnes ayant perdu un enfant, à la suite d’avortements, de fausses couches ou à la naissance. Des rabbins – le plus souvent des femmes – et des prêtres participent à ce type de rites funèbres de plus en plus fréquents aux États-Unis.

Y a-t-il d’autres rites de passage pour souligner, par exemple, les menstruations, la maternité et/ou la ménopause ? 

De nouveaux rites sont mis en place pour les femmes lors de leurs menstruations, puis au moment de la ménopause. D’autres rites sont liés à la fertilité ou au manque de fertilité. Des bénédictions à l’intention des nouveau-nés de sexe féminin et des petites filles ont vu le jour. Des pratiques religieuses inédites ont été imaginées pour la transition du célibat au mariage ou celle du divorce. Des femmes rabbins proposèrent des actes symboliques et des prières pour l’annonce d’une grossesse. Elles conçurent pour celles qui en avaient besoin, des paroles sanctifiées pour venir en aide aux femmes battues. Un grand nombre de ces nouveaux rites ont été créés par les féministes étasuniennes et restent méconnus en Europe. Seules les brit leda sont devenues populaires dans les communautés progressistes françaises. Par ailleurs, les femmes fréquentant des communautés libérales ou massorties sont de plus en plus nombreuses à participer activement aux offices. 

CIRCONCISION FÉMININE

Ces rites, puisque ils réfèrent la plupart du temps au corps des femmes ne reconduisent-ils pas les rôles féminins, essentialisant les femmes, en faisant des êtres de nature plutôt que de culture ou, est -ce qu’au contraire la ritualisation ne vient-elle pas inscrire autrement les femmes dans la culture juive ? 

Souvent les femmes juives engagées en religion ne se disent pas féministes. Certaines, plutôt dans les courants progressistes, s’inscrivent dans un paradigme plutôt fondationnaliste qui considère le sexe comme issu de la nature et conviennent que le genre est issu de la culture et est donc un construit social. C’est dans ce domaine qu’elles veulent faire évoluer les traditions. Dans les courants plus traditionnels, les femmes engagées en religion questionnent la Loi juive pour voir ce qui leur est vraiment interdit et reconnaissent une complémentarité des sexes et des genres. Ces femmes considèrent le sexe et le genre comme une donnée fixe et pas trop malléable. Peu importe si cela reconduit des rôles ancestraux, ce qu’elles cherchent surtout c’est à en conquérir d’autres ou à les vivre avec une autre conscience, investies d’un pouvoir dont elles sont à l’origine. Peu d’entre elles se posent des questions sur leur nature. Elles s’inscrivent dans l’orthopraxie et veulent regarder, réinterpréter la Loi juive et elles se posent la question : qu’ai-je le droit de faire ? Un grand nombre d’entre elles démontre qu’elles sont l’égale de l’homme et que c’est l’homme, et non Dieu, qui en a décidé autrement.



Comment ces rites redonnent-ils du pouvoir aux femmes ? 

Étant donné que la plupart du temps ces rites ont été, complètement ou en partie, nouvellement instaurée, ils donnent du pouvoir par l’exercice de la créativité. Dans le cas de la bat mitsva, la jeune fille assure la conduite totale de l’office avec la lecture de la Torah et de la haftara (passage du livre des prophètes lu lors du shabbat), le tout prenant souvent place dans une assemblée exclusivement féminine, dans les franges les plus actives des communautés modern orthodox en Israël et aux États-Unis. Ces célébrations sont parfois l’occasion d’une publication par la famille d’une liturgie créative, comprenant des textes écrits par la jeune fille. Ces rites leur donnent du pouvoir parce qu’elles sont reconnues, une place dans la communauté leur est accordée. Elles sont devenues des sujets avec un statut d’adulte en démontrant que c’est possible. Elles deviennent des modèles à suivre, elles ont pris une place, elles sont devenues visibles !




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RÉFÉRENCES 

PIÈCES MUSICALES
Zaraza de Amsterdam Klezmer Band 
Zebdi de John Zorn 

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