FÉMINISME ET ISLAMISME

Encore cette semaine, j’ai eu le grand plaisir d’accueillir en studio Roxanne Marcotte, islamologue au département des sciences des religions à l’Université du Québec à Montréal pour parler d’un sujet quelque peu délicat, parce que les deux termes qui permettent de le nommer, ainsi que le souligne maintes auteures, peuvent sembler incompatibles, j’ai nommé le féminisme islamiste. Mais de quoi parle-t-on quand on joint les termes féminisme et islamisme ? 

En premier lieu, il convient probablement de préciser qu’il existe plusieurs islamismes, dont certains sont plus libéral et d’autres plus radical. Cela étant dit, de manière générale et bien que le projet islamiste soit un projet transformationnel, les islamismes partagent tous une vision traditionnelle, voire fondamentaliste, de la femme, de sa « nature » - là, où toujours le bât blesse –, de son rôle dans la société et de ses droits. Tous ces islamismes ou types d’instrumentalisation politique de l’islam n’ont toutefois pas leurs féministes. En fait, aucun n’en a officiellement, dans la mesure où les femmes qui s’y reconnaissent et militent en ce sens ne se disent rarement, voire jamais, féministes – ce mouvement étant associé trop fortement à une importation occidentale, ainsi qu’il en a été brièvement question dans l’entée précédente. Quoi qu’il en soit, Hassan Al-Banna, un des fondateurs des Frères musulmans, a livré des discours sur l’émancipation des femmes pour leur mobilisation dans la cause islamique, mais leurs rôles, encore, demeurent ceux qui leur sont divinement ordonnés, c’est-à-dire ceux de mères et d’épouses, et les hommes demeurent responsables, au sommet de l’organisation sociale. Sayyid Qutb, le # 2 des Frères musulmans va dans le même sens. La vision utopiste à tendance totalitaire proposé par cette organisation, qui n’admet aucune séparation entre sacré et profane, n’en est pas moins chaleureusement accueillie par certaines femmes. 



Zaynab al-Ghazali (1917-2005), la fondatrice, en 1936, de l’Association des femmes musulmanes (Jama’at al-Sayyidat al-Muslimat) étroitement associée aux Frères musulmans, est une des figures mentionnées par Roxanne Marcotte dans son ouvrage. Membre actif des Frères Musulmans à partir de 1949, de ladite soldate de Dieu montre une résistance aux formes classiques de la domesticité, tandis que ses mots, dans des interviews, des publications et des lettres ne définissent en grande partie les femmes que comme épouses et mères… Son association, exigeant que l’Égypte soit gouvernée par le Coran, est dissoute en 1964, soit un an avant l’emprisonnement de celle qui, encore aujourd’hui, est une inspiration pour plusieurs. Il faut dire que, à sa sortie de geôle, al-Ghazali a aussitôt repris d l’enseignement et l’écriture, notamment pour la renaissance du magazine des Frères musulmans, Al-Da’wa. Rédactrice de la section femme et enfants, elle encourage alors les femmes, certes, à s’instruire, mais aussi à obéir à leurs maris et à rester à la maison tout en élevant leurs enfants. Pour elle, les mères et les épouses constituent les piliers de la société vertueuse rêvée et peuvent participer à la réislamisation de la société, car en ne travaillant pas – pas comme elle ! –, elles peuvent plus facilement s’y consacrer. 


    

Heba Raouf Ezzat, maître de conférences en théorie politique à l’Université du Caire et à l’Université américaine du Caire, a aussi été chercheure invitée à l’Université de Californie en 2010, à l’Université Georgetown en 2012 et à la Faculté d’Économie de Londres en 2015-2016. On lui doit de nombreuses études en anglais et en arabe sur les concepts de citoyenneté, de démocratie globale, de société civile globale et d’épistémologie islamique. Elle est toutefois surtout connue en tant que chercheure dans le domaine de la femme et des questions du genre dans la perspective islamique (source) et c’est la raison pour laquelle l’islamologue de l’UQÀM en traite dans son livre. Elle a d’ailleurs écrit sur le rôle politique des femmes en islam Femme et politique, une perspective islamique est la version remaniée de sa thèse, dans laquelle elle fait la promotion de la vision salafiste islamiste. Il y est question de trois projets de sociétés : modernité séculière, de modernité islamique et de traditionalisme islamique, mais il est entendu que seuls les islamistes sont en mesure de réaliser la modernité islamique. Puis, dans son étude intitulée La femme et le travail politique, une vision islamique, elle a pris comme point de départ le cadre des règles de base islamiques. Elle a abordé ensuite l’état de la umma, puis celui de la famille. Elle a présenté une vision du rôle politique qui dépasse les domaines traditionnels des élections, pour atteindre le cercle de la famille et de la société. Elle n’est pas tombée dans le piège des droits individuels, mais elle a esquissé sa propre vision dans le cadre des institutions de la société, des droits légitimes de la femme et de son rôle social (Mahmoud Moustafa). Ainsi, pour H. Raouf Ezzat, la réforme autour de la question de la femme nécessite un ijtihad (effort d’interprétation) à deux niveaux. D’un côté, il faut repenser l’interprétation conventionnelle des sources sacrées, d’un autre côté, il faut repenser la notion conventionnelle de la pratique et l’identité politique. Selon elle, très peu d’efforts sont déployés pour introduire une nouvelle théorie politique qui réviserait la centralité de l’État et qui améliorerait la participation en politique des femmes, nécessaire à l’amélioration de la condition féminine dans le monde musulman. En fait, à ses yeux, l’État n’est pas assez islamique, car, s’il l’était, il serait aussi plus juste et égalitaire. C’est pour un retour aux lois islamiques que les activités des femmes doivent être mises au service du programme politico-religieux des islamistes, et ce, même si elle leur reproche de mettre l’accent sur rôles domestiques plutôt que sur les rôles qu’elles peuvent jouer dans la sphère publique. Selon elle, il faut permettre aux réformistes de revisiter les interprétations théologiques classiques et de promouvoir la nécessité d’une réforme du Fiqh (source et application du droit et de la jurisprudence islamique) et du Tafsir (l’interprétation du Coran) (Hamidi). Cela dit, Raouf Ezzat a une vision religieuse conservatrice et rejette le féminisme, entre autres, en raison de son fondement séculier. Pour elle, le concept de féminisme est non islamique, car toute notion d’égalité doit être chercher à l’intérieur de la tradition. Ainsi, ce concept est plutôt le produit de la sécularisation de la société occidentale. D’ailleurs, pour elle, il n’y a pas de féminisme islamique, mais les féministes refusent de reconnaître qu’un mouvement de femmes musulmanes existe et qu’il pourrait offrir aux femmes une alternative libératrice. C’est probablement pour cette raison qu’elle répond à Fatima Mernissi (1940-2015) – une sociologue et activiste féministe marocaine qui, pendant toute sa vie, a observé la complexité des rapports entre les hommes et les femmes dans le monde arabe et, au discours victimaire, lui a préfère celui qui met la lumière sur la capacité des femmes à négocier leur place au sein de la société –  en utilisant sa méthode réformée d’interprétation, qui s’avère la même méthode que les orthodoxes, mais qui donnent des conclusions différentes. 


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RÉFÉRENCES
Miriam Cook, 1194, « Zaynab al-Ghazali : Sainte ou subversive ? », Die Welt des Islams, New Series, 34, 1 : 1-20.
Roxanne Marcotte, 2005, « Egyptian Islamists and the Status of Muslim Women Question », JSRI, 11: 60-69. 
Fatima Mernissi, 1987, Le harem politique : le Prophète et les femmes, Paris : Albin Michel. 

                                                      


PIÈCES MUSICALES
Al-Fatihah de Brian Keane et Omar Faruk 
Salamat des Musician of the Nile  



 

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