FÉMINISME ET ISLAMISME
Heba Raouf Ezzat, maître de conférences en théorie politique à l’Université du Caire et à l’Université américaine du Caire, a aussi été chercheure invitée à l’Université de Californie en 2010, à l’Université Georgetown en 2012 et à la Faculté d’Économie de Londres en 2015-2016. On lui doit de nombreuses études en anglais et en arabe sur les concepts de citoyenneté, de démocratie globale, de société civile globale et d’épistémologie islamique. Elle est toutefois surtout connue en tant que chercheure dans le domaine de la femme et des questions du genre dans la perspective islamique (source) et c’est la raison pour laquelle l’islamologue de l’UQÀM en traite dans son livre. Elle a d’ailleurs écrit sur le rôle politique des femmes en islam Femme et politique, une perspective islamique est la version remaniée de sa thèse, dans laquelle elle fait la promotion de la vision salafiste islamiste. Il y est question de trois projets de sociétés : modernité séculière, de modernité islamique et de traditionalisme islamique, mais il est entendu que seuls les islamistes sont en mesure de réaliser la modernité islamique. Puis, dans son étude intitulée La femme et le travail politique, une vision islamique, elle a pris comme point de départ le cadre des règles de base islamiques. Elle a abordé ensuite l’état de la umma, puis celui de la famille. Elle a présenté une vision du rôle politique qui dépasse les domaines traditionnels des élections, pour atteindre le cercle de la famille et de la société. Elle n’est pas tombée dans le piège des droits individuels, mais elle a esquissé sa propre vision dans le cadre des institutions de la société, des droits légitimes de la femme et de son rôle social (Mahmoud Moustafa). Ainsi, pour H. Raouf Ezzat, la réforme autour de la question de la femme nécessite un ijtihad (effort d’interprétation) à deux niveaux. D’un côté, il faut repenser l’interprétation conventionnelle des sources sacrées, d’un autre côté, il faut repenser la notion conventionnelle de la pratique et l’identité politique. Selon elle, très peu d’efforts sont déployés pour introduire une nouvelle théorie politique qui réviserait la centralité de l’État et qui améliorerait la participation en politique des femmes, nécessaire à l’amélioration de la condition féminine dans le monde musulman. En fait, à ses yeux, l’État n’est pas assez islamique, car, s’il l’était, il serait aussi plus juste et égalitaire. C’est pour un retour aux lois islamiques que les activités des femmes doivent être mises au service du programme politico-religieux des islamistes, et ce, même si elle leur reproche de mettre l’accent sur rôles domestiques plutôt que sur les rôles qu’elles peuvent jouer dans la sphère publique. Selon elle, il faut permettre aux réformistes de revisiter les interprétations théologiques classiques et de promouvoir la nécessité d’une réforme du Fiqh (source et application du droit et de la jurisprudence islamique) et du Tafsir (l’interprétation du Coran) (Hamidi). Cela dit, Raouf Ezzat a une vision religieuse conservatrice et rejette le féminisme, entre autres, en raison de son fondement séculier. Pour elle, le concept de féminisme est non islamique, car toute notion d’égalité doit être chercher à l’intérieur de la tradition. Ainsi, ce concept est plutôt le produit de la sécularisation de la société occidentale. D’ailleurs, pour elle, il n’y a pas de féminisme islamique, mais les féministes refusent de reconnaître qu’un mouvement de femmes musulmanes existe et qu’il pourrait offrir aux femmes une alternative libératrice. C’est probablement pour cette raison qu’elle répond à Fatima Mernissi (1940-2015) – une sociologue et activiste féministe marocaine qui, pendant toute sa vie, a observé la complexité des rapports entre les hommes et les femmes dans le monde arabe et, au discours victimaire, lui a préfère celui qui met la lumière sur la capacité des femmes à négocier leur place au sein de la société – en utilisant sa méthode réformée d’interprétation, qui s’avère la même méthode que les orthodoxes, mais qui donnent des conclusions différentes.
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