FÉMINISMES MUSULMANS

Aujourd’hui, je me suis entretenue avec Roxanne Marcotte, islamologue au département des sciences des religions de l’UQÀM et chercheure associée à l’IREF. Elle est spécialiste de la pensée islamique arabe et persane, mais a beaucoup travaillé sur le genre, la sexualité et la religion, ainsi que sur les femmes et la religion, notamment musulmane. En 2010, elle a publié un livre intitulé Un islam, des islams ? aux Éditions L’Harmattan, et, dans la dernière partie, elle y aborde la modernité, les femmes et l’exégèse. 



Or, avant de traiter plus particulièrement d’une des trois figures égyptiennes qu’elle y présente, soit Bint al-Shati, il importe de parler, quelque peu, du féminisme islamique (au singulier, bien que...). Qu’a-t-il de particulier ? En fait, ce féminisme est comparable au féminisme chrétien et/ou judaïque et s’inscrit dans la théologie féministe puisqu’il se fonde sur l’étude des textes pour interroger la place des femmes dans l’islam, affirmer leur égalité et animer un mouvement de justice sociale. Ce n’est pas pour rien qu’il accorde une place centrale à l’éducation comme moyen d’émancipation, ce que Aisha Abd al-Rahman (1913-1998), mieux connue sous son nom de plume, Bint al-Shati, qui peut se traduire par « la Fille de la rive », avait bien compris il y a presque déjà un siècle… Ainsi, bien qu’on puisse parler d’un mouvement transnational seulement aux alentours de 1990, il y a une véritable théologie féministe depuis bien plus longtemps. Dans la foulée du mouvement intellectuel réformiste, puis de nombreux mouvements sociaux, la pensée et les actions qu’on peut qualifier de « féministe » datent de la fin du 19ème siècle et/ou du début du 20ème siècle. Dès le départ, le but de ces femmes visent l’élimination de pratiques et idées patriarcales qui affectent négativement les femmes musulmanes et la préservation de l’identité musulmane face à l’hégémonie occidentale. La professeure de littérature arabe susmentionnée, bien que tributaire de Amin al-Khouli, son professeur devenu son époux (!), appartient, à sa façon, à la première mouvance. 


                                       


C’est d’ailleurs une des premières femmes à entreprendre une exégèse coranique. Ne se considérant pas féministe, ses œuvres n’en sont toutefois pas moins parsemées de questions relatives aux femmes. D’ailleurs, ainsi que le souligne Marcotte, elle publie un court article intitulé Le concept islamique d’émancipation de la femme à la fin des années 60’. Peut-être faut-il dire que 1967 est une année charnière qui permet la rencontre de deux compréhensions de l’émancipation (la liberté morale et les modèles coraniques de femmes), et deux types de sociétés (la société du sérail et celle des nouvelles femmes libres). Pour al-Shati, la notion d’égalité entre les hommes et les femmes s’appuie sur la notion d’humanité (insan) et concerne davantage les devoirs et les responsabilités envers Dieu, et ce, pour que tous deux – hommes et femmes – puissent s’élever au même niveau grâce à leur raison. L’accès à l’éducation est donc primordial à ses yeux. Pour elle, c’est un droit fondamental de tous (en raison de leur humanité commune). D’ailleurs, la connaissance rend possible la réfutation de certaines lectures, des sédimentations juridiques erronées qui volent aux femmes certains de leurs droits pourtant garantis par l’islam. En ce sens, ladite prééminence des hommes sur les femmes n’est donc pas pour elle à comprendre comme autorité et domination absolue des uns sur les autres. Cependant, à ses yeux, il est inconcevable que les femmes cherchent à devenir les égales des hommes en tout. Dans cet ordre d’idées, elle critique une certaine compréhension de la notion d’égalité, soit celle qui correspond à une transformation des genres ou à l’élimination des différences, car, à l’instar du mouvement féministe musulman qui montre que « le Coran n’assigne pas à des rôles sociaux spécifiques » mais « met plutôt en avant la notion de mutualité dans les relations conjugales » (Badran), elle préconise une complémentarité des rôles de chacun. Elle critique également la notion d’égalité, du moins la notion étrangère importée ne correspondant justement pas à ce qu’on peut lire dans les écrits coraniques. Il faut dire que al-Shati ne craint pas d’attaquer, de-ci de-là, le colonialisme et l’orientalisme, comme il en va fréquemment en ces temps, l’émancipation n’étant jamais qu’une affaire de genres ; ). 

Par ailleurs, cette Égyptienne, malgré son conservatisme, demeure intéressante parce qu’elle a proposé une méthode exégétique pour réfuter les lectures et permettre des relectures mettant en lumière la place centrale des femmes dans la communauté naissante de l’islam. Réceptive à l’idée d’une certaine liberté d’expression, elle invite à faire preuve d’esprit critique et à critiquer l’attitude négative de la société arabe envers les femmes et le statut social inférieur de celle-ci; ce n’est vraiment pas rien ! Pour en savoir plus sur ce personnage hors du commun, je vous invite à lire mon invitée.


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RÉFÉRENCES
Zahra Ali, 2012, Féminismes islamiques, Paris : Éditions La Fabrique. 
Margot Badran, 2007, « Le féminisme islamique en mouvement », dans Existe-t-il un féminisme musulman, p. 49-71. 
Margot Badran, 2009, Feminism in Islam : Secular and Religious Convergences, Oxford: OneWorld.
Ismahane Chouder, 2015, « Féminisme-s islamique-s », Confluences Méditerranée, 4, 95 : 81-90.  
Roxanne Marcotte, 2010, Un islam, des islams ? , Paris :  Éditions L’Harmattan.

PIÈCES MUSICALES
Sabahiya de Sabahiya
Dance with the Palms de Rahim Allaj & Glen Velez 

 

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