IL Y A L'HOMME ET IL Y A TOUTE LA SOLITUDE

Il y a l’homme et il y a toute la solitude. Encore. Suspendue dans l’air dense et lourd du ciel qui moutonne de bleu marine, invoquant les tempêtes atlantiques. Il y a un homme, soudain, dans les innombrables heures de mes jours, mais il ne me manque point. J’en suis fort aise. Je suis souvent, parfois, entre chien et loup, dans le tumulte de ce cri qui pourrait s’élancer vers autrui, mais demeure en mon cœur. Tu, tapi, à l’abri de l’ébouriffage indu. Stabilité comme clé de cette quarantaine, fête au cœur battant qui ne peut perdurer, où j’évanouis déjà mes murmures en tançant. Sur la corde molle où rien ne se décide, je tangue doucement. Mon royaume s’époumone dans les odeurs du ramage bandant ses arcs, lançant ses flèches mordorées. J’avance mon nez, je voudrais tant goûter à ces verts pâles adorés, tendres pousses jaillissant de nulle part, d’essences multiples qui m’enivrent autant que le vin blanc. Dans l’absence solide, je ne suis pas euphorique, par la grâce du ciel qui ne gronde pas, dans le doux applaudissements des gouttes sur les neuves feuilles. Le mois de mai m’enveloppe chaque année, cadeau que je prends de toutes mes paires d’yeux, que ces dernières se trouvent au bout de mes doigts ou au-dessus de ce nez, lequel frétille amoureusement. La voilà mon histoire d’énamourement. Elle continue depuis tant de printemps, toujours au goût des jours qui me couchent dans les douleurs de non-enfantements et dans la langueur foudroyante de l’inattendu. J’accueille, j’ouvre mes pores à ce que me réserve, ou pas, l’avenir. Je peux tout vivre. En cascades ou bruissements, en flots et égarements. Il y aura toujours un lit pour reposer mes morceaux épars ou enfin réunis, mes parts et départs avortés, mes retours et détours sur les routes non tracées. Mourir à petits feux ou dans des émeutes incendiaires, à réunions facultaires ou à mes facultés épurées, délavées dans les sucs des danses faites aux dieux de toutes les antiquités. Qu’il y en ait mille ou un seul ne change rien à la frénésie de mes élans, je suis une dévote au temps qui passe et au passé qui reste tapi dans les secrets dévoilés aux écrins gavés par mes aïeux, peut-être mes adieux. Repue, je ne peux plus, mais comme je ne le suis pas, la course se poursuit malgré mon souffle court courant derrière le soleil levant, errant au creux des troncs qui cumulent les traces des autres et du vent. Rien n’existe. Tout se peut. Je n’ai peur de rien, même pas des rires qui éclatent au plus offrant. Ils sont le pur instant, ce qui consiste à être le plus sûrement. Ne pas se perdre au tout-ludique, ne pas mordre la poussière, mais être cette dernière avec acharnement, harnachement, crocs plantés au plus profond, là où la douleur comme le plaisir s’observe, sans trop chercher à trouver l’un ou l’autre au creux des oreillers ni même des oreilles. Y’a-t-il un lien entre la connaissance et le repos? Quel est cet univers qui se déploie ou se recroqueville lorsque les paupières se trouvent animés d’images inédites, de montages jamais vus? Boire sa vie, pleurer ses amis, rire des bêtises, recommencer. Je me trouve à l’orée de je ne sais quelle contrée, je n’ai pas les documents requis, je ne sais la langue qui y est parlé, mais j’avance, insouciante, classiquement moi-même, parce que j’ai traversé tant de sous-bois sans lampe, tant de désert sans eau, tant de ville sans carte. Quarantaine bénie, je n’ai plus peur, même pas de cette engeance que je cru longtemps m’être, arrivera ce qui se doit, j’accueillerai encore ce qui m’est réservé, comme si le monde et/ou les dieux, effectivement, me gardaient des présents que je dois absolument traversés ou qui doivent inévitablement me transpercer. Trouée de toutes parts, les bises et alizées s’engouffrent et je résonne de chants que je ne comprends pas, oracle éperdue de mots étrangers. Enfin, la valve a cédé, le courant ruissèle et je me laisse emporter par le mouvement vagissant au-dessus du clavier. Les touches sont noires et blanches, entremêlées, et la musique qu’elles produisent sonnent peut-être faux, mais pas pour l’éternité. Il faut se ramasser dans le creux lové du silence pour entendre, il faut se taire et se terrer dans l’ocre doux du mois de mai, soleil qui n’en finit pas de se faire abattre par les nuages éplorés, jaloux du nouveau règne qui va s’installer. Les échos des gouttes sur le bois fraîchement sablé, les jappements qui soulèvent les minutes suspendues dans le grand blanc qui s’étend d’Hochelaga jusqu’ici, dans la bourgeoisie effrénée s’attablant à quelques artères. Dire, mordre la poussière, être cette instantanéité, se sachant image parmi les images, reflet parmi les miroirs, poussières parmi les odeurs qui, dans quelques mois, seront surannées. Et le sang sifflait. Les traces grisâtres fendent cet ancien blanc qui ne peut plus se répandre autant. La musique des sphères se tait, les oiseaux s’évertuent aux branches, dorment suspendus au calme qui, lui, prend son envol. C’est l’un ou l’autre et les deux quand l’appel à la prière montent vers un dieu sans ouïe, un dieu aveugle, créé de toutes pièces, vielles pièces prises aux idoles recueillies au creux d’un bloc de pierre, habillé de velours sertis de phrases d’or, un dieu qui dort, assoupis par le cri des incompris. Ils sont des milliards et ça ne suffit pas, il faudrait que toute la terre hurle à l’unisson pour qu’il daigne s’ébranler légèrement, bouger le petit doigt, si doigt il y a. Puis, un solitaire ose s’égosiller, faire savoir l’existence, faire connaitre l’être. Il se tait, pas trop convaincu d’y parvenir avec son seul gosier, petites cordes qui ne portaient pas l’entièreté de l’univers élégant. Il y a l’homme et il y a toute l’ampleur de la solitude qui ne donne pas un pied à l’homme, lequel permet en fait à la solitude d’exister encore plus solidement, sérieusement. En fait, c’est ainsi qu’elle existe, en comparaison, bien qu’elle ne représente le vide mais ce qui n’appartient qu’à moi, à chérir en son temps, comme le reste, petit ou grand. Ce qui me fait réaliser les dimensions de cet amour qui outrepasse grandement l’homme, comme si pour en saisir la portée, il me fallait cette aporie au creux de la journée. Je me tue, je me meurs, je ne soupire pas, emportée par l’orgasme, l’intrusion sublime dans laquelle je me perds allègrement. Oui, sublimée, tel est le vocable qui n’ose dire mais parvient à écrire cette absence à soi, retrouvée lorsque les effluves de l’alcool se dissipent face à l’écran sans tain. Si la page était du même acabit, il n’y aurait pas tant de retours retords en arrière, de corrections à apposer dans la verticalité. Or, ma main ne sait plus caresser le papier, préfère peut-être les touches et leur musicalité. Écrire en vain, pour une postérité qui brûlera, mais qui, pour l’instant, me purifie de ce qui ne se dit pas. 

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