PREMIÈRES FEMMES MARTYRES EN ISLAM

La martyrologie n’est pas née d’hier et pas, en premier lieu, en islam, et ce, malgré ce que la dernière entrée a pu suggérer. Je n’obéis pas ici à un ordre chronologique, bien au contraire. Cela dit, je me (re)tourne, quand même, vers les débuts du troisième monothéisme et pas pour boucler une boucle (il n’y a pas de bout à ces fils rouges qui traversent l’histoire des religions), mais plutôt pour faire émerger, notamment, certaines distinctions notables entre le monde contemporain et le monde médiéval. Ces distinctions, implicites dans le présent texte (faites des liens), ne font d'ailleurs pas plus l’objet d’analyses dans la tradition musulmane ou dans les nombreuses traditions académiques, bien qu'elles mériteraient d'être mises de l'avant suite à des travaux plus rigoureux. Pour l’instant, je ne peux donc présenter qu’une brève histoire biographique de ces deux figures peu connues. Deux femmes qui sont considérées comme des martyres, j’ai nommé : Sumayyah bint Khayyat et Oum Waraqa.  

Sumayyah est dans la littérature religieuse musulmane ancienne et moderne célébrée en tant que « premier martyr » de l’islam. Sa vie est plus entourée de mystère que sa mort, comme c’est souvent le cas avec ce genre de figure. C’est toutefois, assurément la femme de Yasser ibn Amir et la mère d’Ammar ibn Yasser, un des premiers compagnons du prophète, lequel fut rapidement suivi par ses parents. En raison de son nom, qui signifie « petite marque » ou « petite trace » et qui a d'ailleurs peut-être été plutôt un surnom, certains avancent qu’elle aurait été esclave. Du moins, ce statut précaire pourrait expliquer la raison pour laquelle elle et les siens n’ont pas trouvé de protection aux temps des persécution dont ils furent "l’objet" à La Mecque. Elle est morte en martyre en 615, selon un récit rapporté par Ibn Ishaq, après avoir été torturée, notamment par Abu Jahl, un des chefs mecquois, et est considérée comme la première membre de la communauté musulmane à mourir pour sa foi. 

Vers l’an 613, après la révélation d’un verset l’enjoignant à rendre l’appel à l’islam public, Mohammed et ceux qui croyaient en lui sortirent affirmer leurs convictions monothéistes face à une majorité de Mecquois polythéistes. C’était le premier groupe de croyants allant à l’encontre de leur communauté, reniant les idoles et la croyance de leurs ancêtres. Les Koraïchites, ne pouvant supporter un tel affront, se courroucèrent contre tous ceux qui renièrent l’idolâtrie. Mohammed fut protégé par son oncle Abou Talib, Abou Bakr, par son clan, les Banou Tamim. Quant à Amar, Yasser et Sumayyah, personne ne se présenta pour prendre leur défense. Sumayyah aurait d’abord été torturée par Abou Houdeïfa. En plus de la flagellation, elle aurait été privée de nourriture et d’eau sous un soleil de plomb, menacée d’emprisonnement et de mort. Mais la dévote souffrit sans fléchir dans la voie d’Allah au point où Abou Houdeïfa finit par l’abandonner à Abou Djahl, lequel la plaça sur la place publique, l’insultant et la maltraitant, alors qu’elle était d’un âge avancé.  Il continua de la martyriser sans répit, tout en l’outrageant en des termes grossiers : « Tu as cru en Mohammed, parce que tu es amoureuse de lui et de sa beauté ». On raconte qu’elle l’offensa et qu’un orgueil meurtrier s’empara alors de lui : il prit son sabre et le lui planta dans le cœur... Ailleurs, on lit plutôt qu’il déchiqueta son utérus d’un coup de lance mortel planté dans son bas ventre. Quoi qu’il en soit, c’est gravement blessé au ventre que Sumayyah finit pour la cause de l’Islam. Ce fut la première femme martyre. Elle fut un exemple indéfectible de fermeté et d’endurance. Dans la tradition, sans défense, elle a sacrifiée sa vie pour mettre en lumière la vérité de l’Islam et de la sorte, a fait du martyre, une partie intégrante du dernier monothéisme né. À l’instar de la mère du Deuxième livre de Maccabées, elle met en quelque sorte au monde le martyre dans son système… Quant à son fils Amar, sous la souffrance de la torture, les Koraïchites arrivèrent à lui faire faire dire des obscénités sur Dieu, son Prophète et sur l’islam. Ayant obtenu de lui ce qu'ils voulaient, ils le libérèrent. Il se rendit séance tenante chez le Prophète lui raconter son humiliation et ce qu'il avait dit sous la persécution. Allah fit descendre un verset du Coran en son honneur, disant ceci :  « Quiconque a renié Allah après avoir cru… – sauf celui qui y a été contraint alors que son cœur demeure plein de la sérénité de la foi – mais ceux qui ouvrent délibérément leur cœur à la mécréance, ceux-là ont sur eux une colère d’Allah et ils ont un châtiment terrible » (Sourate 16, verset 106, traduction An-Nahl). 

Il est difficile d’attribuer à Oum Waraqa bint Abdallah une date officielle de naissance, cependant il est aujourd’hui attesté qu’elle était l’une des nombreuses femmes faisant partie des compagnons du prophète Mohammed, vivant donc durant la 1ère partie du septième siècle. Issue de la tribu des Banû An-Najar, /la tribu des al-Ansari (les médinois/e/s), Oum Waraqa s’est très tôt convertie à l’islam, soit avant même l’arrivée de Mohammed à Médine, car Mus’ab ibn ‘Umayr l’avait précédé pour répandre son message. Oum Waraqa fût connue pour sa piété et son intelligence. Très tôt, elle entreprit de mémoriser les versets révélés. Une entreprise qui lui valut de faire partie des rares personnes à avoir mémorisé le Coran en entier. Aussi elle contribua à sa retranscription écrite et à l’élaboration de sa forme définitive dirigée sous le califat de Uthman (644-656). C’est déjà peu négligeable comme contribution, mais ça ne s’arrête pas là. En fait, l’histoire d’Oum Waraqa, comme l’ensemble des histoires des femmes que je vous présente dans cette émission, fait voler en éclat les idées reçues, les préjugés. D’une part, elle s’est vu attribuer la direction de la prière de son quartier du vivant du Prophète, et, d’autre part, elle est morte en martyre… loin du champ de bataille. 

Passionnée et fervente croyante, Oum Waraqa se recueillait fréquemment spirituellement en puisant dans les textes coraniques, si bien qu’elle faisait partie des rares musulman.e.s de l’époque s’étant donnée pour mission de mémoriser les différentes révélations que Muhammad recevait. En raison de sa piété, de son intelligence et de ses nombreuses connaissances, le prophète la forma et lui permit de diriger des prières mixtes, car aux environs de l’année 623, le nombre grandissant de musulman.e.s dans la ville renforçait le besoin d’une seconde mosquée. De par les distances qui séparaient un certain nombre de médinois du quartier où se trouvait la maison du prophète (qui faisait office de mosquée), Muhammad lui demanda de diriger la prière dans son quartier, en lui mettant notamment à disposition un muezzin afin d’assurer un appel à la prière plus audible. Certes, aujourd’hui, personne ne conteste que Muhammad lui-même nomma une femme pour diriger la prière. Cependant, les différentes sources en faisant acte sont souvent remises en question par certains savants ou imams sur un point qui se révèle être sémantique. Le hadîth concernant cet épisode est traduit ainsi : “Le prophète visitait Oum Waraqa chez elle, il lui a assigné un muezzin qui fait l’appel à la prière et lui a ordonné de diriger la prière des gens de sa maison.” Seulement dans la version en arabe le terme traduit ici par « maison » est dar, qui peut signifier maison mais également quartier. Ainsi les savants contre l’idée qu’une femme ait pu diriger une prière mixte, pointent du doigt l’ambiguïté du terme. Ils affirment qu’Oum Waraqa a été autorisé à diriger la prière de son foyer uniquement, lequel était composée de deux servantes et d’un servant. Or, si cette interprétation était valable, comment pourrait-on expliquer la nécessité de mise à disposition d’un muezzin cité également à plusieurs reprises ? Qu’on le veuille ou non, grâce à un hadîth jugé solide, l’exemple d’Oum Waraqa permet à certains juristes islamiques d’affirmer que les femmes sont autorisées à mener non seulement d’autres femmes dans la prière, mais qu’elles peuvent aussi conduire des congrégations mixtes. Autrement dit, l’imamat féminin n’est pas incompatible et par conséquent illicite… Oum Waraqa fut également une femme d’action. Après que Mohammed ait annoncé à sa communauté de fidèles qu’une bataille se tiendrait prochainement à la Mecque (la Bataille de Badr, en 624), cette dernière demanda d’accepter sa présence et son soutien au front, soit de faire partie de la campagne militaire et apporter son aide. Il n’était pas rare que les femmes participent aux batailles, mais le Prophète refusa. Pas en raison de son sexe, mais en raison des responsabilités de guide spirituel qui lui incombaient. Umm Waraqa lui confia qu’elle souhaitait une mort en martyre. Il lui assura qu’elle serait martyre et l’appela dès lors « la femme martyre » (al shahida). Beaucoup plus tard, pendant le Califat de Omar, elle mourut enfermée chez elle – assassinée par deux esclaves dans son sommeil… Certains affirment que la voie du martyre d’Oum Waraqa était de diriger la prière... 


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RÉFÉRENCES 
Sayed A.A. Razwy, A restatement of the history of Islam & Muslims : C.E. 570 to 661, Stanmore, Middlesex, World Federation of KSI Muslim Communities, 1997
À venir, Samia Taouti, "Martyre des femmes dans les textes fondateurs de l'islam selon la tradition sunnite", Religiologiques

PIÈCES MUSICALES
Azan de Sidi Goma 
Saraab de Simon Shaheen 




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