LA MÈRE DE 2 M 7 #2

Aujourd’hui, je reviens sur la mère anonyme du septième chapitre du Deuxième Livre des Maccabées (2 M). Il y a quelques émissions, nous avons vu que ce personnage introduisait la subversion du genre dans la martyrologie relative aux femmes. Oui, même si le mot martus, qui signifie témoin, n’apparait jamais dans 2 M et même si on ne sait pas comment cette femme est mise à mort, elle n’en offre pas moins le témoignage le plus bouleversant ! Or, avant de présenter ce dernier, je dois dire quelques mots sur le martyre. D’une part, bien que certains auteurs considèrent que le martyre n’apparaît que plusieurs siècles après cet écrit, dont Bowersock (1995), il n'en demeure pas moins que toutes les caractéristiques du martyre présentées par Droge et Tabor (1992) s’y trouvent. En effet, dans une situation d’opposition ou de persécution, la mère et ses sept fils font le choix de mourir par noblesse ou dignité. Ils considèrent tous que la mort et les souffrances sont bénéfiques et si les jeunes garçons espèrent une vengeance pour les persécuteurs et une récompense dans l’au-delà c’est un peu en raison de ce que dit leur mère. D’autre part, on suppose que, à l’instar de ceux-ci, elle refuse de manger ou toucher la viande interdite selon les règles de la cacheroute = refus d’abandonner les lois de ses pères = crime de lèse-majesté = résistance politico-religieuse ! Cela dit, peut-être est-elle mise à mort parce qu’elle confronte Antiochos IV Épiphane, le souverain séleucide qui préside à leur condamnation. En fait, pour être plus précise, je dois dire qu’elle s’en moque, littéralement, c’est écrit en toutes lettres, et l’humilie potentiellement en étant plus virile que lui… On l’a vu précédemment, c’est le seul personnage féminin qui parle ou, pour être plus précise, qui exhorte. Exhorter, en fait, est une « [une action] habituellement assumée par un prophète dans les complaintes collectives » (Lavoie, 1992: 14), ce qui n’est pas rien, surtout quand on considère que ses actes de parole sont aussi des actes de puissance et que ses paroles constituent le cœur du discours anthropologique et théologique du chapitre et du livre. Mais qu’est-ce que cette femme dit ? 



Aux verset 7, 22-23, elle dit : « Je ne sais comment vous êtes apparus dans mes entrailles ; ce n’est pas moi qui vous ai gratifiés du souffle et de la vie et ce n’est pas moi qui ai agencé les éléments qui forment chacun de vous ; Voilà donc pourquoi le Créateur du monde, qui a réglé l’origine de l’homme et qui est à l’origine de tout, vous rendra à nouveau et le souffle et la vie dans Sa miséricorde, parce que vous vous méprisez maintenant vous-mêmes pour Ses lois ». Puis, aux versets 7,28 et 29, elle dit : « Je t’en conjure, mon enfant, de regarder le ciel et la terre et de comprendre que tout ce qui est en eux Dieu l’a créé à partir de rien et que la race des hommes est advenue de même ». Ainsi, ce que dit cette femme constitue LE témoignage qui engendre le martyre. En effet, ses propos sur le rapport entre procréation (thème rarement abordé dans les écrits bibliques), création et recréation ou résurrection des corps forment l’argument pouvant convaincre de mourir plutôt que de trahir sa foi. De plus, c’est à la fois la profession de foi la plus étoffée et la plus inspirante, puisqu’elle avance que Dieu est derrière la création de la vie de chaque individu, mais aussi que la relation la plus intime, la plus intériorisée que l’être humain peut avoir avec Icelui prend place dans le corps, par le biais de chaque naissance et nouvellement à cette époque, par le biais de la résurrection. C’est donc aussi, un peu, un nouveau récit de création, incluant pour la première fois la notion de creatio ex nihilo – cette phrase d’un dieu qui crée tout à partir de rien étant absolument unique dans toute la Septante, la traduction grecque de la bible hébraïque. Ainsi, cette femme offre le premier et le plus explicite enseignement sur la résurrection des corps, lequel répond inévitablement à une exigence de justice (Lavoie, 1992 : 13). Son discours, en plus d’avoir une portée universelle, est performatif, c’est un dire qui est un faire, car lorsqu’elle parle de résurrection des corps, elle la fait apparaître comme une réalité… D’ailleurs, les propos de ses fils (2 M 7, 9; 7, 11 et 7, 14), de Judas (2 M 12, 43-45 et 15, 11-16) et de Razis (2 M 14, 46) le mettent en lumière. Les uns à la suite des autres, ils répètent que Dieu règne même dans l’au-delà, ce que la mère exprime de manière plus étoffée. Idée révolutionnaire dans le récit et qui provient étonnement d’une femme, laquelle est de surcroit une mère. Or, cela est nécessaire, puisqu’elle seule sait de quoi elle parle ou connaît cette instrumentalisation de son corps par Dieu. C’est donc en s’appuyant sur sa maternité, « ce qu’Israël estimait et respectait dans la femme » (Lavoie, 1995 : 105), que cette femme peut parler de la résurrection des corps. Selon ses dires, on comprend qu’il n’est pas plus impossible de ‘naître’ une seconde fois qu’une première, puisque ce phénomène de "relèvement" – QUM HAYAH – ou de recréation’ s’appuie sur le miracle même de la création. Oui, miracle dans la mesure où ne sachant pas ce qui advient à son corps et même d’où vient ce corps, sans connaissance donc, la femme fait confiance et, sept fois plutôt qu’une, elle reçoit la preuve qu’elle avait raison, malgré l’irrationnel de l’affaire. 




La croyance en la résurrection des morts se fonde sur quelque chose d’aussi simple et, en même temps d’aussi mystérieux, que l’apparition de la vie dans un corps de femme » (Luciani, 2004 : 19). Ainsi, pour rendre la résurrection crédible, elle doit aussi parler de la procréation comme d’un rappel évident de la création du monde, une participation indéniable à celle-ci, et ce, dans la mesure où « la résurrection peut être vue comme la continuation de la création » (Falque, 2004 : 214) ou le prolongement de la naissance. Le salut du monde est exprimé en termes de naissance, parce que Dieu n’a pas seulement créé le monde à son origine, mais Il le créé aussi de manière continue dans l’histoire (voir également, pour poursuivre la réflexion, l’idée d’un salut intrinsèque à la création dans L’ouvert : de l’homme à l’animal (2006) de Giorgio Agamben).  Ayant manifestement plus d’autorité que n’importe quel homme sur ce sujet, elle seule peut faire accepter la possibilité d’une remise au monde. 

La mère croit en la vie et tout son dire est tourné vers la création, comme si la mort n’existait pas. Dans la bouche de leur mère, la mort ne correspond plus non plus à l’ancien Shéol, lieu souterrain sans punition ni récompense, une véritable non-vie où les ombres (repaim) sont totalement séparées du monde des vivants et de la présence divine. Shéol dont parle Éléazar, le vieux scribe qui meurt en martyr au chapitre précédent et qui prouve que c’est la mère qui innove, peut-être en raison de son manque de connaissances livresques ou de ses connaissances d’ordre plutôt phénoménologique, expérientielles. Elle n’est pas dans le dogme, elle n’est même pas dans l’obéissance aux attentes envers son genre. En véritable résistante sur tous les fronts, elle peut tout se permettre. De la sorte, elle révèle la victoire de Dieu sur la mort, qui apparait comme un nouvel espace où la relation entre le créateur et ses créatures est toujours possible. Ce qu’elle dit révèle aussi la confiance/l’espérance mis dans le Créateur – ce qui implique a priori une croyance dans l’existence même de Dieu. Mue par la foi, la mère incarne la croyance parce que le fait que la vie soit possible est au préalable une affaire plutôt incroyable. 


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RÉFÉRENCES
AGAMBEN, G. 2006, L’ouvert : de l’homme à l’animal, Paris : Rivages.
BOWERSOCK, G. 1995, Martyrdom and Rome, New York: Cambridge University Press.
DROGE, A. J. & J.D. TABOR, 1992, A Noble Death. Suicide & Martyrdom among Christians and Jews in Antiquity, New York, Harper Collins.
FALQUE, E. 2004, Métamorphose de la finitude. Essai philosophique sur la naissance et la résurrection, Paris, Éditions du Cerf.
LAVOIE, J.-J. 1992, « Résurrection, anthropologie et création dans 2 Maccabées 7 », Scrip, 11 : 7-26. 
LAVOIE, J.-J. 1995, « La femme dans le Cantique des cantiques » : 103-111 dans Des femmes aussi faisaient route avec lui : Perspectives féministes sur la Bible, Montréal/Paris : Médiapaul.  
LUCIANI, D. 2004, « Concevoir un enfant. Que dit la Bible ? » : 13-37 dans M. Hermans & P. Sauvage (éd.) Bible et médecine. Le corps et l’esprit. Namur & Bruxelles, Presses Universitaires de Namur & Éditions Lessius.

PIÈCES MUSICALES
I'm Going In de Lhassa 
Les ressuscités d’Olivier Messiaen

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